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vendredi 21 juillet 2017

Uderzo! Mais lequel?

 J'ai acheté ce album en version luxe parce que je suis fan du trait d'Albert Uderzo, mais aussi parce que celui ci fut à la fois le dernier de Goscinny et mon premier à moi
 Le livre présente l'album couleur en grand format, 30 pages de rédactionnel et de documents, et ce qui motiva mon achat : l'album en fac similé de planches , noir et blanc donc. Superbe (moins 3 pages tirées des films car non accès aux planches) les contrastes sont un peu touchés semble-t-il, ce qui est regrettable car on n'aperçoit moins les traits d'encre mais quand même c'est un délice
 
 Tout est bon : dessin, encrage et lettrage
 Quand Goscinny est mort tout le scénario était terminé, mais il restait quelques planches à dessiner (on imagine la torture que fut pour Uderzo, en plus d'un conflit avec Dargaud) Il a  placé en dernière case un petit lapin qui pleure
 
 Dans les doc il y a ce bel hommage à son ami, paru pour les 25 ans de sa disparition
 Je ne suis pas fana des ragopts, racontars, , règlements de compte internes, mais quand même ces infos me perturbent; Il est de notoriété publique que le frère cadet d'Albert Uderzo, Marcel, l'a aidé sur l'encrage et le lettrage de certains Asterix; Il n'en fut jamais fait mention dans les livres (contrairement aux encreurs que Uderzo eut, plus tard) Soit
mais quand même, ce qu'écrit , il y a quelques années (2014) Marcel, est étonnant
Copié/collé d'un forum BD :

[...]Dites-nous donc Mr Uderzo quelle était l'ampleur de votre participation aux albums de votre frère, on en dit tout et n'importe quoi ?[...]

MU : [...]Pour répondre à votre question, après avoir travaillé 20 ans dans l'atelier familial comme luthier avec mon père (confection de guitares), il arriva le jour où il voulu prendre sa retraite, c'est là que j'ai formulé le désir de travailler avec mon frère. Tout en travaillant à mi-temps avec mon père, j'ai dû m'entrainer durant un an chez moi, sans être rémunéré, pour acquérir les techniques exigées et une bonne pratique afin de le seconder.

Une fois prêt, j'ai travaillé sur "Tanguy et L'Averdure" en traçant trois albums, tout en oeuvrant sur quelques planches d'Astérix, mais le petit Gaulois prenant de plus en plus d'importance auprès du public, Albert m'a alors demandé de m'y consacrer exclusivement en traçant à l'encre sur ses dessins. J'ai réalisé également les couleurs ainsi que tous les droits dérivés en créant entièrement des visuels adaptés pour ça (petits livres, papiers peints, verre à moutarde etc).
Pour résumer, j'ai donc commencé en 1965 sur "Astérix et Cléopatre" jusqu'à l'album "Les lauriers de César", petite interruption de deux ans (de 1972 à 1974) j'ai repris avec "La grande Traversée" et mon dernier album était "Astérix chez les Belges", dont la dernière page se termine par un banquet final (façon tableau de Bruegel) que j'ai entièrement réalisé seul chez moi en une journée. Ce qui me fait, je pense, un total de 16 albums d'Astérix. D'ailleurs, grâce à ma participation, ont voit nettement que Dargaud sortait deux albums par an au lieu d'un seul comme au début.
Ensuite, après avoir supporté maints "misères" de mon aîné, j'ai voulu faire cavalier seul. C'est cette indépendance soudaine que mon frère n'a pas supportée et ne m'a jamais pardonnée. Depuis, nous ne nous voyons plus, mais nous nous saluons aux enterrements familiaux.

Petite confirmation au sujet de la planche 35 de l'album Astérix le gaulois, elle s'était bien "perdue" (peut-être pas pour tout le monde) et c'est Goscinny qui m'a demandé de la redessiner puis de la tracer car l'imprimeur se servait d'une page imprimée et, à la longue, elle sortait légèrement floue. On s'en aperçoit au lettrage qui est plus gros, par la suite il a été rectifié pour plus d'unité.[...]

[...]J'ignorais totalement que vous étiez l'artisan du tableau façon Bruegel d'Astérix chez les Belges, jamais je n'ai lu ni entendu votre frère rendre hommage à votre collaboration et votre talent aussi précisemment, on n'avait juste l'impression que vous faisiez le lettrage.[...]

MU : [...]Votre étonnement sur le sujet est bien naturel puisque, en accord avec son scénariste, mon frère ne parlait jamais de moi, ni à l'époque où, par mon travail je participais à la sortie de deux albums par an, encore moins maintenant. C'est vrai que je réalisais aussi le lettrage qui complétait l'encrage des dessins suivit ensuite des inévitables couleurs, cela faisait partie de mon travail. Depuis, plusieurs avocats m'ont suggéré que c'est probablement la peur que je leur demande des droits d'auteurs qu'on me planquait dans les placards, alors qu'à l'époque je ne pensais vraiment pas à ça, je voulais juste apprendre mon nouveau métier et faire au mieux. Je me serais seulement contenté d'être reconnu par ces deux auteurs que j'admirais pour leur talent.[...]

[...]Vous êtes un peu le Jidehem d' Albert. Votre cas est encore plus sévère car on semble vous effacez de cette histoire. [...]

MU : [...]Je ne sais pas exactement comment s'articulait la collaboration entre Jidehem et Franquin, mais je pense que la comparaison entre les deux situations n'est pas si mauvaise.

Au sujet des ventes des planches d'Astérix, non, je n'ai aucun pourcentage sur elles!… Bien qu'ayant encré plusieurs centaines de planches, jamais mon frère ne m'en a offert, pas une seule planche. D'autres ont eu plus de chance que moi.

Bien à vous,
Marcel Uderzo[...
]


Qu'il ait raison, ou pas, cet état des lieux, et des relations, me semble bien triste
Voici la scène évoquée par Marcel Uderzo dans Asterix chez les belges

 Au final, en dehors d'un conflit regrettable, que ce soit de la main de Marcel ou d'Albert les planches sont magnifiques et cet album reste, pour moi, une superbe, et très drôle, madeleine


10 commentaires:

Philippe Cordier a dit…

Triste oui, et très surprenant, mais difficile d'imaginer que tout soit faux quand même

Philippe Cordier a dit…

Oui même si on est parfois plus dans le relais/succession (Lecureux) mais oui
Pour en rajouter un couche il faut aussi noter que cet album d'Asterix s'est terminé dans le conflit total avec l’éditeur et je crois avoir lu que Uderzo rendait les dernières planches à un huissiers qui venait les récupérer chez lui une par une! Bonjour les conditions (imperceptibles au lecteur)de réalisation d'une œuvre de ...divertissement

Laurent Lefeuvre a dit…

Pour le coup... il faudrait avoir le son de cloche du côté d'Albert.

J'ai dîné avec le frangin (dans une tablée de fin de festival, il y a une quinzaine d'années). Je me rappelle avoir trouvé très désagréable ce bonhomme qui n'a pas cessé de balancer anecdotes sur anecdotes, toutes très désobligeantes, sur toutes les stars de la profession. J'en ai gardé un mauvais souvenir du gars qui cherche à se donner le rôle du humble, du petit, au milieu des vilaines stars (Morris, Uderzo, etc.).


Indirectement, Albert Uderzo avons un ami commun, et le portrait de l'homme, simple, plein d'attentions, aux antipodes de l'image vénale du "Captain Ferrari" que l'on lui accolle souvent.

Le vrai débat (pour moi) est celui de la place des encreurs en France, et de leur apport au produit final.

Ce débat-là intéresse les gens comme toi (et ceux qui viennent ici). Le reste, a beaucoup plus d'émules, et il est du ressort du "qu'en dira-t-on".

Bref, en ce qui me concerne, et pour avoir vu ses "œuvres" en solo, les propos du frangin Uderzo sont à prendre avec des pincettes... thermonucléaires.

Zaïtchick a dit…

C'est l'inconvénient lorsqu'on a un seul son de cloche. Mais Laurent sait bien que les auteurs de BD sont toujours animés de sentiments généreux et confraternels. C'est "un gros tas de chouettes copains" disait Goscinny... Avant mai 68.

Philippe Cordier a dit…

je suis d'accord, et c'est en effet ce rôle d'encreur qui m'a interpellé, mais tout de même sans rentrer dans le cancan je suis attristé par cette situation, ne serait ce que du fait qu'il est absolument indéniable que le frère a participé (reconnu par tous, même Albert) et qu'il ait cette rancœur n'en rend la chose que plus triste à mes yeux
Quant à son rôle d'encreur (et lettreur ai je cru comprendre) je vois juste que son travail étant indécelable (pour le non spécialiste de Uderzo que je suis) j'en déduis qu'il est aussi bon que son frère sur ce point là (ce qui n'est pas peu dire)

RDB a dit…

Sauf le respect que l'on doit à Albert Uderzo (même si, pour ma part, "Astérix" ne m'a jamais trop plu - je trouve "Oumpah-Pah" plus drôle et beau, et je crois que Goscinny a regretté de devoir l'abandonner quand il s'est rendu compte qu'il ne pourrait pas écrire toutes les séries qu'il pilotait), le bonhomme n'a pas que des fans dans le milieu. Si je ne devais retenir qu'une anecdote à son sujet, ça remonterait à l'émission " Bouillon de culture" de Bernard Pivot (hé, oui, à un époque, les émissions littéraires invitaient des artistes de BD parce que leur présentateur considérait que c'était des livres comme les autres, pas de la sous-culture...). Un des invités était le vénérable Sempé, qui avait aussi pour ami et collaborateur Goscinny.
Pivot lui demanda s'il connaissait les autres partenaires de son scénariste (Tabary, Morris, etc). Sempé expliqua que, de caractère assez solitaire et timide, ce n'étaient que de vagues relations, souvent juste croisées, et qu'il ne se considérait pas comme un dessinateur de BD, donc n'évoluait pas dans le même milieu que les artistes cités. Néanmoins, oui, il y en a un qu'il connaissait bien et qu'il aurait préféré ne pas fréquenter : Uderzo. "Pourquoi ?" interroge Pivot. "Parce que c'est un con !" répond Sempé, d'un ton sans équivoque, telle une sentence définitive et expérimenté sur le sujet. Puis il ajouta, dans une ambiance irréelle : "Il est aussi con que Hergé !"
A la lumière du témoignage de Marcel Uderzo, et en évoquant Hergé, je ne peux m'empêcher d'y voir un rapprochement fâcheux sur le fait que ces deux-là ont toujours soigneusement "caché" leurs assistants (Jacobs, De Moor et d'autres pour Hergé).

Que les dessinateurs aient eu/ aient encore recours à des assistants, ma foi, je n'y vois de honteux, surtout quand ils sont pressurés par les éditeurs. Mais ce que je ne tolère pas, c'est qu'ils le cachent comme si c'étaient des "ghosts artists", assumant parfois un boulot aussi considérable que le leur.
Dans ce cas de figure, la relation de Franquin avec ses collaborateurs est bien plus honnête : que ce soit Will, ou surtout Jidéhem, il les a toujours crédités (même si, au tout début de "Gaston", la participation de Jidéhem a été minorée (mais sur ordre de Dupuis, dont l'intérêt était évidemment que "Gaston" soit signé d'abord Franquin).

Aujourd'hui, je ne sais pas trop, en France, si cette pratique pourrait être aussi couverte, même si je soupçonne des barons d'avoir leurs régiments de petites mains anonymes. Mais certains font preuve d'honnêteté (par exemple, Yoann a cité Fred Blanchard pour ses designs dans les albums de "Spirou et Fantasio"). Mais tout ça a quand même une allure d'omerta assez misérable.

Laurent Lefeuvre a dit…

@ Franck : Oh ben ça prouve juste que les auteurs de BD sont avant tout des gens comme les autres, avec le même panel de qualités, de défauts. Tant mieux, d'ailleurs .

Comme disait Pasteur " Ce n'est pas le métier qui fait la grandeur de l'homme... mais l'homme qui fait la grandeur du métier" (trouvé dans une papillote).


Le succès, la gloire, la fortune, tout ça est un accélérateur de bonheurs... comme de rancœurs.

Côté Technique, en effet, le frangin Uderzo a appris à utiliser les outils, c'est indéniable.

Est-ce que ça fait de lui un auteur ? Surtout quand, comme lui, on devient un tel "singe" de son frère ? La question se pose, puisque lui même parle de "traceur".

Dans ce cas, au nom de quoi réclamerait-il quelque chose... pour un travail sur lequel il a déjà été payé ?

En Franco-belge, il est vrai qu'on a encore moins la notion du rôle de l'encrage qu'aux US, car ce rôle ici n'est ni fréquent, et encore moins crédité.

Et puis il y a le sacro-saint concept de "l'Auteur". Celle qui confine à "Artiste".

Aux US, le côté artisan, professionnel, industriel est (à mon sens) plus sain, car il permet d'être avant tout un pro, et éventuellement ensuite, dans ce cadre, d'y affirmer une éventuelle notion "Artistique", plus "noble" comme on l'entend ici.

Il y a une anecdote sur Hergé : Revenu de vacances, son studio lui montre une planche entière de Tintin, avec avion, cases, dialogues, bref, TOUT !

Sauf qu'Hergé n'y avait RIEN fait.

Celui-ci s'est vexé et a tourné les talons.

Aux US : Nul n'est irremplaçable... mais toutes les sensibilités qui apportent au "produit" sont bienvenues.

Il y a dans chaque système, une fois de plus, du bon des 2 côtés de l'Atlantique... et du mauvais aussi.

Philippe Cordier a dit…

Je suis plutôt d'accord avec Laurent of course, même si ta dernière phrase est importante
On peut tenter de généraliser avec la notion d'Artiste hors us, et artisan/technicien dans le comics mais je crois que la barrière commence à s'estomper
Et ton anecdote sur Hergé me renvoie à celle ci, par Klaus janson, qui reste sur la notion d'ego : quand ils terminaient, avec Miller, leur run sur DD il était clair pour tout le monde (sauf certains lecteurs) que Miller découpait et Janson dessinait ET encrait; Sur la séquence finale dans laquelle Elektra gravit la montage, il y a un très gros plan de visage; Miller aurait fait un visage en quelques traits. Janson décide de s'inspirer d'une photo (de mémoire Audre Hepburn)il travaille beaucoup sur le rendu, il est satisfait (à juste titre) il signe la planche
Et avant que ça ne parte vers l'imprimeur Miller récupère la planche et ajoute sa signature au dessus :) Pas choquant mais révélateur d'ego at work

Laurent Lefeuvre a dit…

Évidemment, je pensais à Klaus en tout particulier, en écrivant mon dernier commentaire.

Dans le courrier de Daredevil, les lecteurs écrivaient souvent fort justement "Dear Frank & Klaus".

"That's my point" : le côté artistique s'impose de lui-même, quand on a un "vrai" artiste (c'est-à-dire quelqu'un qui glisse dans son travail, un regard personnel) aux manettes... encore faut-il qu'il soit crédité, il est vrai !





jimmyraker a dit…

Malheureusement dans les entretiens augmentées avec Uderzo par Sadoul, Albert ne se sera jamais réconcilié avec son frère et donne une autre raison de leur dispute : Après le décès de Goscinny, en 1980 lorsqu'Albert a voulu reprendre Astérix il a demanda à Marcel de l'aider, ce qu'il a refusé et depuis ils sont fâchés. Triste.