Paru en 2015, sur scenario du fils du co créateur, JF Lecureux, dessiné par le maestro André Chéret et colorisé par son épouse Chantal
La suite ne paraitra jamais, Chéret nous ayant quittés en 2020
Cet ultime épisode est dessiné par quelqu'un de près de 80 ans, qui a dessiné des milliers de pages, n'a jamais lâché sa planche à dessin, et qui peut sembler un peu "usé"
Il n'est, sur ces pages, plus celui qu'il fut, mais retrouver le personnage était agréable, même si les pages sont parfois un peu bancales, ou loin de la grande époque
Quand l'encrage est plus soutenu les pages sont meilleures
Si je vous évoque cet album c'est qu'à l'occasion d'un crash d'ordi j'ai récupéré une vieille sauvegarde contenant, entre autres, quasi tous les articles que j'ai pu écrire pour le mag BD Zoo,et y en a eu un sacré paquet
Celui ci est très spécial pour moi car j'avais demandé à écrire sur sur album à condition de pouvoir mettre également l'accent sur l'intégrale majestueuse, en noir et blanc, des anciens épisodes
J'ai pu échanger avec le scénariste et l'article ne fut pas simple à écrire, car je me doutais que JF Lecureux le passerait à André Chéret et il n'était pas question de le froisser, ni, en même temps, de me renier en faisant trop de commentaires ultra élogieux sur cet album objectivement en dessous des autres
Exercice périlleux
La couv du mag fut celle ci
car le dessin proposé par Chantal Chérêt, utilisé en 4 de couv de l'album, était plus dur à maquetter (et moins joli)
Je n'ai plus le mag mais il me semble qu'ils avaient bien mis les 2 pages "historiques" que j'avais proposé et qui représentent pour moi le sommet du dessinateur
Un TRES grand moment pour moi fut celui, quelques jours/semaines après la parution du mag, où je reçois un coup de fil (je me revois encore, à devoir m'éloigner de la foule, car j'étais à la présentation des voeux du maire de mon village) J'entends "bonjour c'est Chantal Chérêt, nous avons reçu le magazine avec votre article, je vous passe mon mari"
Incroyable! L'enfant en moi, qui lisait l'Intégrale de Rahan (couv noire avec dessin dans un cercle) religieusement chaque mois, en a la tête qui tourne
Et de sa douce voix André Chérêt me dit avoir apprécié l'article et me remercie
je n'ai aucun souvenir de ce que j'ai pu lui dire, j'étais ailleurs
Pour les curieux, et ceux qui ont du temps à perdre, voici l'article qui fut donc rédigé en 2015, tel que je l'ai envoyé à Zoo
Rahan
Les fantômes du Mont
Bleu
JFl Lécureux/ A
Chéret
Editions Soleil
Rahan, plus fort qu’Asterix ?
Un blond résiste
encore et toujours à l’obscurantisme.
Le lien Astérix/ Rahan
vous parait osé? Il ne l’est pas tant que ça. Déjà, c’est anecdotique mais n’oublions pas qu’avant de le voir transformé en homme de la
préhistoire, André Chéret avait proposé aux éditions Vaillant d’animer un
gaulois. Et les titres ont des liens: des valeurs morales profondes, un duo
scénariste vedette/ « jeune » dessinateur, un concept simple et
brillant, un énorme succès public (même si celui du fils de Craô ne resta pas
au même niveau aussi longtemps), un dessin exceptionnel, la mort du scénariste
et la poursuite par le dessinateur.
Lors de la création de Rahan en 1968 (sortie en 69 dans Pif
Gadget numéro 1) Roger Lécureux a déjà une
immense carrière, difficile à résumer. Il
est l’un des scénaristes les plus prolifiques. "L'homme aux 40 000 planches" a créé des héros marquants
des générations de lecteurs (Capitaine Apache, Les pionniers de l’espérance…) travaillé
avec de nombreux grands dessinateurs
(Gillon, Poïvet, Norma, Font, Di Marco, Marcello, Forton...). Il n'a plus grand
chose à prouver quand il fait la connaissance du jeune André Chéret. Ensemble,
ils vont donner naissance à un mythe, une icône de la préhistoire (romancée) pour
des milliers d'enfants assoiffés d'aventure. Bien des années plus tard, en
1998, son fils Jean François crée les Editions Lécureux. Rahan, sans nouveauté
depuis quelques années, redémarre sous ce pavillon en 1999. A la mort de Roger
Lécureux, fin 99, ce dernier a écrit les tomes 1 et 2 ainsi qu’une partie du 3,
que son fils terminera avant d’enchainer sur les suivants.
André Cheret a
dessiné d’autres personnages (Proteo, Domino, Ly-Noock…) et un bon nombre d’albums
one shot mais il reste dans l’histoire de la Bande Dessinée comme l’homme d’un
héros. Il quitte Bob Mallard en 68 pour se consacrer à ce personnage qui fait sa
renommée. Un homme parmi d'autres, altruiste et curieux de tout, véhiculant des
valeurs symbolisées par les 5 griffes de son collier : courage, loyauté,
ténacité, générosité et sagesse. Des valeurs partagées par beaucoup, et portées
avec fierté au sein d'un journal emblématique, Pif Gadget.
Cet autodidacte à la narration naturelle a une obsession : le
mouvement. Une planche, pour lui, doit bouger, faire que le lecteur plonge dans
la page. Il va très vite déborder d'inventivité pour décupler le dynamisme des
récits, multipliant les plans, les angles, les découpages audacieux. Il n'a jamais
été reconnu par ses pairs à sa juste valeur
(Angoulême, y a quelqu'un?). Un compagnon d'armes dans une situation
similaire, Jean-Yves Mitton (notre John Buscema hexagonal) regrette cet état de
fait, louant depuis longtemps la souplesse du trait de son confrère. Si Uderzo,
grandement aidé par Goscinny, a connu une forme de gloire publique, il n'a
jamais lui non plus été reconnu par la profession. (oublions le prix du
millénaire créé pour lui faute de lui en avoir donné un vrai) Le père graphique
d'Astérix partage avec celui de Rahan l'étrange honneur d'avoir un dessin qui
fait l'admiration de beaucoup sans jamais avoir eu de successeurs directs ou
d'élèves. Trop difficile? Possible.
Extraordinaire dessinateur animalier et de paysages, c'est également un
excellent encreur, maître du pinceau (tout est au pinceau dans Rahan, excepté
le lettrage à la plume). Il crayonne peu, se laissant un maximum d'improvisation
et d’énergie pour cette étape à l’encre de chine. La méthode de travail
est quasi inchangée depuis plus de 40
ans : André Chéret part du scénario complet, réalise des petits découpages
très succincts (8 planches découpées sur un format A4) puis il attaque la
planche définitive.
Chéret anime Rahan depuis 1968. Combien de lecteurs restent
médusés, en festival, constatant que celui qui dessine aujourd'hui les
aventures du fils des âges farouches est bien celui qui les dessinait déjà quand
ils les lisaient enfants. Tant d'années à animer un personnage avec un dessin
réaliste qui, forcément, évolue avec le temps, ceci fait qu’il est permis de préférer certaines périodes. La
décennie 1970, par exemple, sort du lot. Le dessinateur tient déjà son
personnage et expérimente, joue avec les masses, les ombres, les corps, les
volumes. La couleur est alors secondaire, presque une gêne même, tant le trait d'encre est pensé pour le noir
et blanc. Il n'est besoin pour s'en convaincre que de lire les somptueuses
intégrales sans couleur et en grand
format que Soleil a édité, reprenant en dix volumes toutes les planches de la
main de Chéret. Cette édition est partie des planches originales du co-créateur
de Rahan, et permet au passage de tester la solidité des histoires de l'époque,
dont l'intérêt ne doit pas tout à la nostalgie, loin s'en faut. Sur les années
plus récentes, et donc sur cet album, la couleur réalisée par son épouse est
pensée dès l'origine, le trait est ouvert, plus rond, plus lisse. Si Chéret reste
un bon artisan du pinceau, il est rentré dans le rang, s'est assagit. La
couleur de Mme Chéret est pastelle, agréable et harmonieuse. On gagne en
universalité de lecture ce que l'on a depuis longtemps perdu en impact viscéral.
Une planche actuelle reste bien faite, maitrisée et dynamique, mais une page
des débuts se vivait de l'intérieur, les noirs de l'encre engluaient le lecteur,
le prenaient aux tripes. Les temps changent, les gens aussi. Les rééditions
sont également là pour faire revivre ces plaisirs anciens.
La parenthèse
enchantée.
Les Fantômes du Mont
Bleu est un album retour aux sources, littéralement puisque son coutelas/ boussole
guide les pas du fils de Craô vers le village de son enfance. Il y découvre des
choses qui ne lui plaisent pas, à l'occasion d'une très légère réécriture de
l'histoire (les habitants du village n'ont pas tous péris dans la lave lorsque
Rahan était enfant) permettant l'émergence d'un nouveau vilain qui, fait rare,
pourrait bien devenir récurrent. L'utilisation d'une vieille histoire restée
dans la mémoire de tous les lecteurs (le trésor de Rahan, 1978) fait le lien
entre plusieurs générations d'inconditionnels de Cheveux de Feu.
L'histoire est fidèle au personnage, JF Lécureux veille au
grain. Il est le gardien du temple. Mais à propos de temple…regardez donc de
plus près cet album : d'une part, il est plus grand que les autres (22/31
cm). De plus, Rahan a de nouveau son pagne « classique » et non pas le
long qui permet de calmer la pudibonderie des concepteurs du Dessin Animé ou du
marché extérieur. Enfin, le collier a les 5 dents d’origines alors qu’il en avait gagné une sixième récemment. Que se
passe t il donc ? Serions-nous dans un monde parallèle ? Pas
vraiment. Il s’agit plutôt, si l’on en croit le scénariste, d’une aventure se situant au milieu de la vie de
Rahan. Ce n’est pas une suite au numéro 11 (paru aux éditions Lécureux). Cette
histoire collector relate un moment de vie du personnage. Qu’en sera-t-il de
l’album suivant ? La suite directe
de celui-ci ? Un album 12 ?...La réaction des lecteurs à ce tome sera
évidemment décisive. La poursuite de cette parenthèse serait une bonne chose,
tant il est agréable de retrouver cet humaniste des temps anciens tel que nous
l'avions connu il y a bien des lunes.
Rahan ami, partout, toujours?
Il n'est pas impossible que les éditions Soleil tiennent là
une opportunité pour proposer à un nouveau lectorat (mais à combien de générations
de fans va-t-on en être?!) de redécouvrir la magie d'un personnage intemporel,
aux valeurs qui ne le sont pas moins. Souhaitons le car tout est réuni :
l'esprit de Rahan, le pagne originel, le collier à 5 griffes… On garde surtout
le précieux coutelas d'ivoire, on le fait tourner sur une pierre et…
L’aventure peut continuer!
Philippe Cordier
11 commentaires:
Merci pour ce bel article et ces anecdotes !
merci
je vais voir avec l'editeur de l'époque s'il en a d'autres, d'anecdotes et si oui je les mettrai en commentaires
Chéret n'est pas assez cité. ^__^ Etrange ce phénomène de 'baisse' chez beaucoup de dessinateurs d'un certain âge, car visiblement ce n'est pas un problème de main qui tremble mais un effet sur la fonction du jugement artistique qu'on peut aussi remarquer dans les dernières séries de Jack Kirby : les visages qui tendent vers le Picasso, des proportions à la dérive, etc. Même chez Franquin : les derniers gags de Gaston avec des bras trop courts. Frank Miller qui est devenu pénible à lire. Arg, on est peu de chose... ^__^
"La mort de Rahan" en noir & blanc dans le Pif 500 m'avait été un sacré choc ! Aussi bien narratif avec son terrible "Fin" et pas "Fin de l'épisode" comme d'hab. Et artistiquement bien sûr, quelle claque !
Impossible, pour moi, de généraliser mais force est de constater que la baisse de niveau, plus ou moins marquée, est très fréquente avec l'âge
Je ne mets pas du tout Miller dans la même config car c'est n'est pas l'âge et c'est un changement brusque (brutal?) de style, pas une baisse de niveau
Pour l'âge il y a les soucis de vue (Gene Colan par exemple) l'usure d'un métier très dur, et le plus souvent c'est au niveau des proportions que ça pêche, même quand le gars garde un très bon niveau, comme Hermann
Régulièrement les têtes sont soit trop grosses (le plus souvent) soit trop petites (des planches de ce dernier Rahan)
Les exceptions sont rares (Kubert, Eisner...)
C'est toujours un régal de voir des planches de Rahan.
A chaque fois que je lis un article sur le personnage, je ne peux m'empêcher de penser aux autres classiques publiés dans Pif et qui n'ont quasiment jamais eu la chance de connaître une seconde vie. Du coup, j'invite le plus grand nombre à se jeter sur l'intégrale de Supermatou de Poirier :)
Il faut voir ça comme un sport.
Avec l'age, le corps ne suit plus.
Les mains, les yeux, le dos, le souffle. Donc on est moins bon que plus jeune dans "notre sport".
On apprécie tous des dessinateurs au niveau plus faible que d'autres.
Un niveau qui baisse n'est donc pas rédhibitoire en soi.
On s'habitue encore plus, soi même, à son propre niveau qui baisse qu'avec le nez rivé sur la feuille toute la journée on perd en lucidité.
Ah mince, anonyme = Franck Biancarelli
Ca me donne envie de relire le bouquin de Trondheim, à l'Asso, Désœuvré, qui traite (très bien de mémoire) de ce thème du vieillissement chez les auteurs de BD
Je redécouvre quelques pages en assez bonne def de Chéret, à sa grande époque.
Il faut ouvrir dans une nouvelle fenêtre et zoom +, ça vaut vraiment le coup : on voit un usage de l'encre et du lavis mêlé, tout ça au pinceau, c'est vraiment époustouflant.
- Plus vit que le Zebra
- Le territoire fantastique
Tu dis que Mitton est un Buscema hexagonal, mais Chéret, à mon avis, avait un niveau tel, qu'outre Atlantique, il aurait pu rivaliser avec Wrightson ou Colan. Un Swamp Thing ou un Dracula par Chéret, ça aurait été quelque chose...
On peut regretter qu'il ait passé sa meilleure période sur ces "BD de kiosques", mais qu'est qu'il a pu nous faire rêver...
Ces planches furent exposées, et heureusement scannées, elles montrent la richesse de pinceau incroyable en effet
Je ne sais pas s'il regrettait ou pas, d'avoir passé des d'années dans les Bd de kiosques mais moi pas en tout cas, ce furent mes lectures de prédilections, au moins aussi nobles que le fb cartonné
Enregistrer un commentaire