L'un des commentateurs (ir)régulier de ce blog, fin connaisseur du monde de la bd/comics, ayant longtemps œuvré dans le haut du panier du fanzinat, Jean Marie Jonqua, a eu la gentillesse de me proposer un entretien qu'il a eu l'occasion de faire, assez récemment, avec le très grand Kevin Nowlan
Qui dit non à ça?!
Il vous est présenté en deux parties, ce jour, et vendredi
Merci Jean Marie, et à toi de jouer
Lorsque Phil m’a donné carte blanche pour une
entrée de son blog, je me suis dit que certains de ses lecteurs pourraient être
intéressés par une interview d’un artiste vétéran du monde des comics. Fin Mai
dernier, Kevin Nowlan, de retour de la convention du Lac de Côme en Italie, a
fait une brève escale, le temps d’un week-end, à la boutique Pulp’s de Bordeaux.
Ce qui n’était pas une interview, à la base, a fini par en devenir une, de
fait, par la faute de mes vieux réflexes d’antan... Je tiens à remercier
chaleureusement l’équipe de Pulp’s Bordeaux, qui a pu rendre cette rencontre
possible, et dans les meilleurs conditions, malgré un planning très serré.
Kevin Nowlan évolue dans le monde de la bande
dessinée US depuis plus de 40 ans. Artiste polyvalent, formé à une époque où
les majors cloisonnaient moins les talents, il sait aussi bien dessiner
qu’encrer, lettrer ou coloriser à l’ancienne. Personnage à l’œuvre éclectique
et dispersée, il est plus connu de ses pairs que du grand public, même si ses encrages
sur certains dessinateurs emblématiques, comme Bryan Hitch assez récemment, lui
ont apporté,au fil de sa carrière, une certaine visibilité.
- Bonjour M. Nowlan ! Comment
allez-vous ?
- Kevin Nowlan : Très bien. Et vous ?
- Très bien également, merci. Je suis très heureux de vous rencontrer.
Comme vous pouvez le voir, j’ai apporté certains de vos comics pour en parler,
car je vous connais depuis longtemps. Peut-être que vous aurez des anecdotes à
me raconter à leur sujet, on verra !
(Je regarde quelques numéros assez récents du Docteur Strange qui
étaient en haut de ma pile)
C’était très agréable de vous voir travailler en équipe avec Chris
Bachalo sur Doctor Strange il y a quelques années. J’ai découvert, récemment,
que votre premier travail publié dans un comic-book était justement un numéro
de la série régulière Doctor Strange au début des années 80.
- Kevin Nowlan : Eh bien, c’était mon tout premier travail pour les
comics. Je n’étais pas prêt pour ça. Ils m’ont demandé de faire un fill-in, et
à l’époque, j’avais un travail régulier chez un imprimeur. Je voulais être un
artiste de comic-book, mais je ne pensais pas être prêt. Et ils m’ont
dit : « Oh, vas-y et fais-le quand même ». Alors, j’ai appris
chemin faisant.
- Vous savez, ce qui m’a stupéfait lorsque j’ai découvert ce numéro,
c’était que je ne pouvais pas croire que c’était votre tout premier comic-book.
Oui, certes, vous aviez Terry Austin pour vous encrer, mais vos crayonnés
étaient déjà bons, je trouve, et l’editor vous a même donné la possibilité de
faire la couverture, et même plus : de vous encrer vous-même dessus !
C’est stupéfiant pour un premier numéro !
- Kevin Nowlan : Oui, sur une couverture. Ma toute première
couverture. Je ne pouvais pas y croire non plus, oui.
- Cette couverture était vraiment bonne pour un débutant.
- Kevin Nowlan : Ça allait, mais pour un débutant... oui. Vous
savez, l’editor était Al Milgrom. À l’époque où nous travaillions ensemble,
c’était juste au téléphone. Et il y a quelques années, je l’ai finalement
rencontré lors d’une convention. Et nous avons parlé pendant des heures. Sa
version de l’histoire, ma version. Mais il faisait ce genre de choses. Il a
aidé Mike Mignola, par exemple. Il lui a donné son premier vrai travail de
dessinateur. Mike travaillait juste en tant qu’encreur d’autres artistes, ce
qui paraît complètement fou maintenant. On sait l’univers énorme qu’il a créé
avec Hellboy, mais, alors, il n'était même pas employé comme dessinateur. Il ne
faisait qu’encrer. Alors, Al était... C’était mon type d’editor préféré, le
genre de personne qui misait sur quelqu’un sans expérience.
- Je me souviens beaucoup de lui à propos de Marvel Fanfare.
- Kevin Nowlan : Fanfare était une merveilleuse revue. C’est drôle,
il m’a demandé de faire quelque chose pour Marvel Fanfare et il m’a dit :
« Tout ce que tu veux, mais s’il te plaît, pas une histoire Docteur
Strange ! J'en ai des piles en stock... Chaque artiste veut dessiner
Doctor Strange ! »
- Je suppose qu’il avait beaucoup d’histoires d’inventaire sous le coude
pour Marvel Fanfare.
- Kevin Nowlan : Probablement. C’est pourquoi il y avait tant
d’histoires mettant en scène Doctor Strange dans Fanfare à l’époque.
- Si je me souviens bien, vous avez fait pas mal de pinups justement pour
Marvel Fanfare. J’en ai vu quelques-unes.
- Kevin Nowlan : J’ai fait un ensemble de pinups, oui. Ils aiment
ça parce que les artistes peuvent faire ce qu’ils veulent et ils n’ont pas à
payer un scénariste. Ca remplit les pages... Le début des années 1980 était un
bon moment pour se lancer dans les comics. Lorsque les jeunes me demandent
comment se lancer et percer dans les comics maintenant, je n’ai aucune idée,
car c’était une époque très différente. Tout était si différent. Je peux
comprendre cela maintenant parce qu’à l’époque, il y avait de nombreuses façons
d’entrer dans les comic-books d’une manière ou d’une autre.
- Il fallait sans doute louer un appartement juste en face de l’immeuble
de Marvel, mettre beaucoup de planches sous leur porte, puis leur casser les
pieds régulièrement pour qu’ils les publient (rires) ou alors entrer par la
petite porte et devenir l’un des Romita’s Raiders (rires)
- Kevin Nowlan : Peut-être aussi, je ne sais pas, mais c’était en
tout cas c’était une bien belle période. Et justement une belle période pour
moi en tant que jeune artiste.
- Vous savez, en France, nous n’avons pas eu beaucoup de chance avec vos
premiers travaux, car les maisons d’éditions françaises qui publiaient du
comic-book à l’époque n’ont pas traduit vos premières bandes dessinées ici (1).
La plupart d’entre nous, lecteurs, ne vous ont découvert qu’aux alentours de
1988, cinq ans après votre premier comic-book ! Et la première chose que
nous avons vue de vous en France a été le fameux numéro
« controversé » des New Mutants, le #51. Je n’ai jamais la chance de
lire, ado, vos bonnes histoires sur Moon Knight ou votre excellent annual de la
série Outsiders, pour laquelle vous étiez reconnu à l’époque. Ca été donc une
sorte de choc, pour nous, de vous découvrir avec ce numéro des New Mutants.


- Kevin Nowlan : C’était un numéro étrange. Je l’ai dessiné délibérément
dans un style différent de mon style « normal », et peut-être que je
n'aurais pas dû parce que Marvel a reçu beaucoup de courriers haineux. Les
lecteurs n’aimaient pas du tout ce numéro. Et c’est drôle, car je jure que,
maintenant, les gens viennent me voir en convention et me disent : « Je
le détestais quand il est sorti. Mais j’ai grandi et maintenant j’aime ce
numéro. »
- Je dois avouer que je fais partie de cette équipe, désolé... (grand sourire)
À l’époque, en lisant ce numéro, fanboy que j’étais, je m’étais dit :
« Mais qui est ce type ??? » (rires) L’incompréhension a perduré
quand j’ai commencé à travailler pour un fanzine sur les comics vers 1990. À
l’époque, vous aviez déjà atteint le statut d’« artist’s artist », un
artiste de référence pour les autres avec ce que vous aviez déjà fait, et ici, vu
de France, je ne comprenais pas pourquoi vous receviez autant de louanges de la
part de vos pairs américains, du style « Kevin Nowlan est un génie de la
BD qui pense en 3D ». J’avais même discuté le sujet avec certains de mes
collègues du fanzine, et ils ne le comprenaient pas non plus !
- Kevin Nowlan : Vraiment ?
- Oui. Il nous manquait des pièces du puzzle. Entre l’absence de vue sur
vos premiers travaux qui étaient quand même sur des titres « secondaires »et
le fait que vous ne restiez pas longtemps sur les séries, cela n’aidait pas. La
plupart d’entre nous avaient une sorte d’image déformée de vous. Nous ne
pouvions pas comprendre. Seules les personnes qui lisaient directement ces séries là, en VO, ici, au début des années 1980, pouvaient comprendre. Pour le numéro
des New Mutants, je crois comprendre pourquoi vous aviez changé votre approche.
Cela ressemblait à un style de dérivé de cartoon mais c’était avec une
intention, je suppose ? D’une manière paradoxale, j’ai l’impression que
vous essayiez de dessiner des adolescents plus réalistes que la façon dont ils
étaient représentés dans cette série à l’époque ?
-Kevin Nowlan : Oh, ça faisait partie de l’approche, oui. Je
voulais qu’ils ressemblent à des enfants. Des enfants, exactement. Au lieu de
grands adultes musculeux.
- Dans le genre de ceux de Jackson Guice ? (rires) C’était du coup un
grand contraste pour nous(2). Je pense qu’ici, en France, nous avons pu mieux
vous découvrir cette fois en tant qu’encreur, dans les années qui ont suivi. Je
vous ai beaucoup aimé, par exemple, sur Joe Quesada pour la MS « Batman:
Sword of Azrael » (Je lui montre les couvertures de la séries limitée,
d’époque)
-Kevin Nowlan : Pouvez-vous me rappeler quand ce numéro a été
fait, déjà ?
- 1992.
- Kevin Nowlan : 1992, waouh... Nous avons eu un petit bébé en
1992. (il se tourne vers sa femme, juste à côté de lui, et se sourient tous les
deux)
- Et j'ai aimé votre encrage sur Mike Mignola pour le one-shot "Aliens:
Salvation » (je lui montre la couverture du one-shot)

- Kevin Nowlan : Oh, j’adore la façon dont Mike a dessiné ça. Vous
savez, Mike était contrarié, il était en colère, parce qu'il voulait que je
l'encre dessus comme j'ai encré tant d'autres personnes, en faisant beaucoup de
changements. Le problème, c’est que j’aimais la façon dont il dessinait. Et je
lui ai donc dis : « Non, tes crayonnés sont parfaits. Qu’est-ce que
je vais pouvoir changer ? Si je changeais quelque chose, je
l'affaiblirais. » Et il a répondu : « Oh, d’accord. Je suppose
que je dois accepter çà. » Il voulait donc qu’il s’agisse davantage d’une
collaboration de styles entre nous. Mais sachez que nous avons fait quelque
chose plus tard de ce type. A cette occasion, il m’a annoncé : «Bon,
maintenant cette fois, je veux que tu apportes ta patte. » Vous savez,
c’était... c’était une histoire qu’il a dessinée il y a bien longtemps, qui a
été perdue et ensuite redécouverte. Il allait l’encrer lui-même, et il m’a
appelé. Il m’a demandé : « Est-ce que ça te dérange si je
l’encre ? » Je lui ai répondu que je n’avais jamais été censé être
l’encreur, que personne ne m’avait même demandé de le faire. Mais les crédits lettrés,
posés sur les planches, indiquaient mon nom en tant qu’encreur ! Mais
personne ne m’avait pourtant demandé de la faire. Donc, quand cette histoire a
été redécouverte, Mike était parti pour l’encrer. Et puis, encore une fois, il m’a
rappelé une semaine plus tard pour me dire : « Je ne reconnais même pas le
gars qui a tellement dessiné toutes ces pages à la chaîne…». Il ne pouvait
même plus arriver à encrer lui-même son vieux moi. Autrement dit, il avait
dessiné cette histoire quinze ans plus tôt, mais il ne pouvait pas trouver la
manière adéquate de le faire. C’est comme cela que je me suis retrouvé à encrer
ce numéro. C’était une histoire qui devait paraître dans Secret Origins, je
pense, une histoire de Batman avec Clayface (3).
- Je ne l’ai pas dans ma collection, mais avec ce
que vous me dites, je prévois de l’acheter !
- Kevin Nowlan : je pense que vous l’aimerez parce que c’est vraiment
très drôle. J’espère que le dialogue marrant passe bien à la traduction en
français parce que c’est très, très drôle. Oui. C'est d’ailleurs pour cela que
cette histoire a été annulée la première fois, qu'elle n'a pas été publiée.
Parce que l’editor a dit : non, non, nous ne pouvons pas faire une
histoire Batman décalée comme celle-ci ! Puis il a annulé le projet. À un
moment donné, des années plus tard, un nouvel editor de DC a redécouvert
l’histoire et il a dit : « Franchement, on s’en fiche, ce n’est pas
grave. Nous pouvons la publier ! »

- Une Mignola vintage redécouverte bien des années plus tard, j’ai hâte
de la voir ! Parlons donc des editors, de la façon dont ils vous demandaient
d’encrer, alors, les dessinateurs. Voyez-vous cela maintenant comme une
malédiction ou pas ? Parce que c’est un fait que de nombreuses personnes dans
la profession vous voient comme un encreur au style qui s’impose, qui
interprète trop les crayonnés à sa façon. Paradoxalement, quand je vois
certains comics que vous avez encrés, là où vous auriez pu avoir la patte lourde,
et bien rien. On a parlé de « Aliens: Salvation », mais je pense aussi,
par exemple, à Art Adams pour les derniers épisodes de Jonni Future, sur lequel
vous aviez réalisé l’encrage, et sur lesquels Art ne faisait plus quasiment que
des layouts. Vous ne vous êtes pas mis en avant, mais vous auriez pu le faire.
- Kevin Nowlan : l’histoire à propos de mon style d’encrage, cela a
commencé lorsque j’ai travaillé sur un dessinateur où je n’arrivais pas à comprendre
ses ombres. Je les ai, du coup, retravaillées, mais plus je les retravaillais,
moins cela ressemblait à son travail. Le problème, c'est que certains editors
ont aimé le résultat et ils ont très vite voulu ensuite que je marque de ma
patte tout ce que j'encrais... Ca s’est passé comme çà. À propos de l’histoire
de Jonni Future, oui, Arthur a n’a fait que des layouts pour la première histoire
car c’était Bruce Timm qui était censé l’encrer. Cela aurait été intéressant et
Arthur n’a donc délibérément pas poussé ses crayonnés parce qu’il voulait laisser
de de la place à Bruce et à son style. Et puis Bruce a décidé de ne pas faire
ce numéro, alors ils m’ont demandé. Je me souviens qu’il y avait deux histoires
différentes que j’ai encré sur Arthur. La deuxième avait des crayonnés plus
poussés, comme le fait souvent Arthur. Il savait que je l’encrerai pour celle-là
et c’était un travail beaucoup plus conventionnel. Mais le premier numéro était
un peu étrange parce que je pouvais voir qu’il avait pris délibérément du recul.
Mais le style d’Arthur était si différent du mien que je ne savais pas comment
l’encrer efficacement dans la première histoire. Donc, j’ai décidé qu’il était
préférable de simplement « tracer les lignes » pour aider l’histoire à
suivre son chemin, pas vraiment apporter ma touche.
- Par contre, je voulais vous demander si vous vous souvenez de la
collaboration avec Steve Ditko sur l’histoire du Spectre dans le Legends of the
DC Universe 80-Page Giant #1 ? Je pense que vous avez fait un excellent
travail en raison des circonstances, car je sais qu’à l’époque, Ditko ne
donnait que l’essentiel aux encreurs qui travaillaient sur lui.
- Kevin Nowlan : Oh, oui, ce numéro là (en regardant la
couverture que je lui montre) Malheureusement, oui, je m’en souviens. (rires)
- « Malheureusement » ?
- Kevin Nowlan : Oui, ce n’était pas bon. Les personnages étaient représentés
de manière totalement minimaliste sur les pages. Et en plus, cette histoire se
passe sur le Titanic. Vous savez, Ditko est l’un des plus grands. Il a créé
Doctor Strange, Spider-Man avec Stan Lee. J’adore son travail, mais à ce
moment-là, il ne se souciait plus vraiment de ce qu’il produisait. Le film
« Titanic » est sorti avant cette histoire, à cette époque, donc tout
le monde savait combien de cheminées il y avait sur le Titanic… à l’exception
de Steve Ditko. Il ne le savait pas. Il a fallu corriger çà. Et la petite fille
de l'histoire était vêtue... Elle n’était pas vêtue comme en 1912, ou portait
des chaussures de l’époque, elle portait quelque chose des années 1960 (rires)
- De nombreuses personnes disent que Steve Ditko était coincé dans les
années 1960 (rires)
- Kevin Nowlan : Quel que soit le passé, ce seront les années 1960...
Eh bien, dans ces conditions, j'ai fait de mon mieux, mais c'était très
décevant parce que j'aurais aimé faire quelque chose de plus dans son style... Vous
connaissez l'artiste Craig Russell ?
- P. Craig Russell ? Oui, c’est un auteur que j’apprécie depuis
longtemps.
- Kevin Nowlan : Ah, il est fantastique. L’editor lui a demandé de
résoudre plusieurs problèmes pour des épisodes de ROM de Steve Ditko. Et j’ai
vu ce qu’il a fait, par exemple, sur le dernier numéro, où l’editor a
dit : « Oh là là, Craig, Steve Ditko a dessiné le mauvais visage ici.
Tu peux faire quelque chose pour corriger çà ? » Craig a fait plus
que çà. Il n'a pas seulement dessiné le bon personnage dans la vignette, en
gros plan. Il l’a fait dans le style de Steve Ditko. Oui. C’était incroyable.
Je lui ai posé plus tard des questions à ce sujet. Il m’a dit qu’il avait
trouvé un ancien comic-book de Ditko qui comportait un visage similaire, et du
coup, il a copié ce visage. Je pensais que c’était d’une grande conscience
professionnelle.
- Vous savez, il y a plusieurs encreurs qui ont eu à relever ce genre de
défi avec Steve Ditko. Vous connaissez Bill Reinhold, par exemple ?
- Kevin Nowlan : Oh, oui, Bill Reinhold, bien sûr !
- Il a dû faire face à ces crayonnés simples, sur la série Phantom 2040,
une incarnation du Phantom dans l’avenir, où il devait encrer les pages de Ditko.
Le genre de crayonnés que vous aviez en main, peut-être juste un peu plus
fournis. Il a dû « compléter » les pages en même temps que son encrage
et durant toute la mini-série, il s’est posé la question de savoir ce que Ditko
aurait fait s’il avait encré les pages lui-même. Et il a vraiment travaillé le
sujet, travaillé dur, essayer de faire de son mieux pour copier les anciens
rendus de Ditko. Je trouve le résultat plutôt bon.
- Kevin Nowlan : Je peux très bien l’imaginer. Vous savez, c’est
tellement difficile de dessiner dans le style de quelqu’un d’autre…
- Nous parlions de ROM plus tôt. Je suis un peu surpris, rétrospectivement,
que les editors ne vous aient pas donné un numéro de ROM de Ditko à encrer, car
à l’époque, il y avait beaucoup d’encreurs différents qui encraient Steve Ditko
sur ROM. Russell, mais il y avait aussi des encrages de Tom Palmer, Brett
Breeding, Bob Layton, Byrne, etc...
- Kevin Nowlan : Eh bien, l’opportunité ne s’est pas présentée ce
moment-là. Je travaillais sur d’autres dessinateurs... comme le souhaitaient
les editors. Mais à propos de Ditko, je vais vous dire ce que l’editor m’a dit
lorsque j’ai encré cette histoire, l’histoire du Spectre. Je me plaignais à un
moment et je lui ai déclaré : « Je ne sais pas quoi faire ici. Il n’y a
pas assez de matière. » Et il m’a répondu : « Je comprends. Tout
le monde veut encrer Ditko une fois. Personne ne veut encrer Ditko deux
fois ! » (rires)
- C’est trop amusant ! (rires)
- Kevin Nowlan : Oui, c’est ça, on sait tous qu’il pouvait dessiner
magnifiquement quand il s’en préoccupait vraiment. Mais il... Bon… Je crois me
souvenir que quelqu’un lui avait même demandé à un moment donné :
« Vous souciez-vous de ce genre de travaux de commande comme vous vous
souciez de vos travaux personnels ? » Et Ditko lui avait répondu :
« Vous plaisantez ? »
- Je suppose qu’il s’est de moins en moins impliqué dans ses travaux mainstream
au fil des années. Après tout, il a connu plusieurs échecs notables chez Marvel
ou DC dans les années 1970 et 1980 qui l’ont probablement découragé, petit à
petit, et qui l’ont encouragé au contraireà s’impliquer de plus en plus dans
ses œuvres auto-publiées. A partir de la fin des années 80, je pense que le peu
de mainstream qu’il faisait encore était juste là pour aider à payer les
factures.
- Kevin Nowlan : Je pense aussi çà. Nous l’avons vu évoluer à
partir de toutes ces choses formidables faites sur le docteur Strange et
Spider-Man, bien sûr. Il a établi tout cette matière dont d’autres artistes
tirent parti depuis si longtemps. Mais ensuite, il a évolué et par exemple il est
allé faire quelques histoires en noir et blanc, les connaissez-vous ?
- Ses histoires pour « Creepy » et « Eerie » ?
Les lavis ? Oh, oui !
- Kevin Nowlan : Elles sont géniales. Et vous pouvez deviner qu’il
a adoré les faire. En grande taille en plus. C’est presque ce que Bernie
Wrightson a fait de son côté. Vous savez, Bernie a travaillé auparavant sur SwampThing,
puis il est allé là-bas et a fait ces histoires en N&B pour Warren. Pour
moi, SwampThing, c’était... eh bien, c’est parfait. Et puis il est allé au-delà
de la perfection avec ses propres histoires en N&B.
- J’ai lu que James Warren payait les artistes à la page plus que DC ou
Marvel à l’époque. Et il y avait aussi un directeur artistique, ou quelqu’un
avec ce genre de fonction, là-bas, qui incitait les artistes à repousser les
limites du support traditionnel, à l’époque. Alors, quand ils exécutaient des
histoires pour « Creepy » ou « Eerie », parfois ces
artistes étaient déchaînés.
- Kevin Nowlan : ...et vous aviez une bonne qualité d’impression,
et c’était en noir et blanc, donc il n’y avait pas un coloriste pour nuire à ce
que vous aviez dessiné. Parfois, les coloristes essaient de dire :
« Non, je pense que la source lumineuse devrait être là, je vais la mettre
là. » C’est comme s’ils se mettaient en situation de combattre le dessin
ou l’artiste, pas de travailler avec lui.
- En parlant d’une autre situation à laquelle vous avez dû faire face,
je ne peux m’empêcher de penser à la position compliquée, je trouve, à laquelle
vous vous êtes retrouvé confronté avec les crayonnés de Gil Kane et John
Buscema sur le « Superman : Blood of my ancestors ». Deux dessinateurs
très différents avec deux styles différents, l’un prenant le relai de l’autre
sur le même récit.
- Kevin Nowlan : Oui, une autre sorte de mission particulière qu’ils
m’ont confiée... Kane et John Buscema ont fait tous les deux ce que je pense
que vous appelleriez plus des layouts que de crayonnés finis. J’aurais aimé
pouvoir encrer des crayonnés complets plutôt que ce type de layouts. Mais... il
faut reconnaître que tous les deux ont très bien dessiné. Vous savez, ce qui
était là, même s’il n’y en avait pas assez, ce qui était présent était vraiment,
vraiment bien.
A suivre...
Notes de référence :
(1) 1) Doctor Strange #57, puis les participations de
Kevin Nowlan aux Moon Knight #28, #29, #31, #32, #33 et #35 n'ont jamais été
publiés à l'époque dans les petits formats d'Aredit / Artima qui avait pourtant
les droits de ces séries, "délaissées" par Lug. En fait, les revues
d'Aredit / Artima s'arrêtèrent avant que n'arrivent les épisodes de Nowlan,
respectivement en 1983 et 1985. Heureusement, les collections
"L'Intégrale" de Panini ont réparé depuis l'année dernière la
situation en publiant une grosse partie de ces numéros. On peut espérer que,
l'année prochaine, tout sera couvert.
(2) 2) Jackson Guice signa quelques temps les épisodes
des New Mutants avant le fill-in de Nowlan (#40, #41, #42, #44, #45, #46, #47,
#48, #50).
(3) 3) Cette histoire ("If a man beclay"), datant
probablement de la fin des années 80, fut finalement publiée par DC dans le
Batman Villains Secret Files and Origins de 2005 (techniquement, c'est un #2
car un #1 fut publié en 1998). J'ai fini par lire cette histoire depuis cette
interview et... je ne peux que vous la recommander ! C'est effectivement
souvent hilarant. Excellent scénario et dialogues de Steve Purcell, le créateur
de « Sam et Max ». Ca se sent. On se croirait dans un épisode de la
série TV Batman des années 60, mais en nettement mieux ! Mais, tiens... j'ai
comme l'impression que ceci... n'a jamais été publié en France ?!?! Si cela
peut donner des idées à certains...