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jeudi 4 décembre 2025

Kevin Nowlan Entretien exclusif II

 Suite et fin du très intéressant entretien JM Jonqua/ Kevin NOWLAN


- Parlons de certains de vos travaux de dessinateur plus « récents ». Je suppose que vous avez été ravi de travailler sur des histoire de l’univers d’Hellboy avec Mike Mignola ? Je me souviens en particulier du one-shot.

 - Kevin Nowlan : Oh oui, c’était génial. Il a écrit une histoire qui était juste basée sur ce qu’il pensait que j’aimerais dessiner. C’est pourquoi il y a une sorte de vache dedans et des choses dans ce genre là. Il l’a adaptée à ce qu’il pensait que j’aimerais dessiner. Donc, c’était génial.


 
 - Ce n’est pas forcément courant, mais vous avez eu l’occasion de dessiner plusieurs fois des vaches dans des comics (rires) parce que si je me souviens bien, dans Jack B. Quick, on trouvait déjà des vaches dans certaines histoires.

 - Kevin Nowlan : Je pense que c’est pour ça que Mike a mis une vache comme personnage du one-shot. Il aimait la façon dont je dessinais les vaches ! Alors, il pensait, bien évidemment : « Bon, si Kevin aime dessiner des vaches, je vais mettre beaucoup de vaches ». Mike est drôle comme ça.

 - En parlant de Mike Mignola, j’aimerais savoir comment vous vous êtes retrouvé associé au logo « Hellboy » en fait parce que vous avez créé ce logo, si je me souviens bien.

 - Kevin Nowlan : Enfin, ils m’ont crédité, plutôt. Je n’ai pas vraiment conçu ça. Mike a fait un croquis, et j’ai fait le dessin final, mais les lettres étaient déjà essentiellement comme il les avait dessinées dans le croquis. Et je lui en ai parlé justement une fois, parce que, même dans le premier film, ils m’ont donné un crédit à l’écran pour cela. Et je lui ai dit : « Mais je n’ai pas vraiment conçu ce logo. »  Mike m’a répondu : « Je sais. J’ai fait un croquis. Nous avons tous les deux fait des aller-retours, mais ça prend trop de temps à expliquer. J’ai juste dit que c’est toi qui l’avais conçu. »

- On peut appeler çà un effort collaboratif ! (rires).

- Kevin Nowlan : C’est sûr que c’est mieux d’avoir trop de crédit, au lieu de pas assez de crédit, car c’est plutôt généralement ce qui se passe.

- Auriez-vous aimé rejoindre l’équipe des « Legends » pour Dark Horse Comics à un moment donné ?

- Kevin Nowlan : Eh bien, pour moi, je trouve que  « Legends » n’a pas duré très longtemps si vous y réfléchissez. Vraiment. Mike (Mignola) a fini par être le seul à y rester. Tout le monde est parti à un moment donné, et seul Mike tenait cette enseigne. John Byrne est resté aussi quelques temps avec ses Next Men, mais moins longtemps que Mike...

- Oh, à propos de John Byrne, j’aimerais vous poser une question. J’y pense maintenant car je n’ai jamais pris le temps de faire des recherches à ce sujet. Il y a un crédit de John Byrne qui vous est dédié dans un ancien numéro des Fantastic Four. C’est le numéro où She-Hulk se retrouve piégée par des paparazzis sur le toit du Baxter Building. C’est vous qui avez-vous donné l’idée de départ à Byrne ?

- Kevin Nowlan : Non, non. Ca provient d’une pinup que j’ai faite pour Marvel Fanfare. John l’a utilisée et remaniée pour la page au début de l’histoire, celle où elle prend un bain de soleil. Allongée sur le ventre, elle a fini par enlever son petit haut et donc elle a une ligne verte décolorée sur le dos. C’était l’une des pinups de mon lot pour Marvel Fanfare. C’était l’une des premières choses que j’ai faites dans les comics. John Byrne l’a vu au bureau et s’est dit: « Oh, je vais l’utiliser pour la page de démarrage de mon histoire ». L’editor m’a appelé et m’a indiqué que cela allait donc se faire. Je lui ai répondu, « Eh bien, ce n’est pas terrible parce que son histoire sera probablement publiée avant mon dessin. Donc, on dira que je l’ai volé. » Donc, John m’a appelé et ils ont mis cette petite note sympa, vous savez, dans le numéro des FF pour me créditer. Heureusement que cela s’est passé comme çà. Car oui, parfois de mauvaises choses sont arrivées à d’autres artistes lorsqu’ils ont produit quelque chose, un dessin, un planche, etc… Quelqu’un le voit sur le bureau de l’editor, ou bien, vous savez, quelqu’un en fait des copies ou autre chose, et du coup, si rien n’est fait, c’est« volé ». Ils peuvent même pomper l’image et si la leur est publiée en premier, tout le monde suppose tout simplement que le gars qui a copié est la victime plutôt que l’inverse... Heureusement, cette fois-là, au moins l’editor a fait ce qu’il fallait faire, donc...



 

- Il y a parfois des histoires effrayantes sur ce genre de choses. Vous connaissez probablement l’histoire de Barry Windsor Smith et son scénario destiné à la série Incredible Hulk, par exemple.

- Kevin Nowlan : L’histoire sur Hulk ? Oui, exactement. Il en a parlé dans son livre, « Monsters ». Je l’ai lu, c’est vraiment bon. C’est triste aussi, mais j’adore l’idée, parce que je suis en quelque sorte en train de partir à la retraite maintenant. J’adore l’idée qu’il ait passé des années à travailler seul. L’idée que cela se fera quand cela sera fait. Il en a fait sa propre histoire. Ce n'est plus une histoire de Hulk, c'est sa propre histoire, il ne sera pas dirigé par qui que ce soit. J’adore l’idée qu’il ait fait ça.

- BWS est devenu esprit libre. Ce n’est pas très connu, mais si vous allez sur Comic Art Fans, vous pouvez voir que Barry a pris un certain temps, au cours des années où il était « invisible », pour améliorer certaines anciennes pages qu’il avait dessinées jadis pour Valiant ou Malibu, tout en continuant à travailler sur « Monsters ». Si vous recherchez un peu et que vous avez de la chance dans votre recherche, vous pouvez voir comment étaient les pages originales avant ses modifications et ce qu’elles sont devenues. Il apportait des améliorations intéressantes. Par exemple, dans ses modifications, il rompt souvent les limites des marges d’impression initiales de la page, pour atteindre presque les bords de la page.

 



 



- Kevin Nowlan : Vous savez, je ne m’en rendais pas compte à l’époque, mais je sais que quand il a travaillé sur « Red Nails », les dernières pages avaient été terminées par Pablo Marcos. Je me souviens que Barry a fini par les ré-encrer lui-même pour une autre édition. Pablo était intervenu pour des questions de deadline. C’était proche du style de Barry, mais pas tout à fait, et Barry voulait donc réparer la chose. Je comprends ce genre de choses qui peuvent vous hanter du genre « Oh, j’étais si proche d’y arriver »...

 - En ce qui concerne les projets qui ont pris beaucoup de temps à voir le jour, je voulais parler de ce projet avec vous (je lui montre que la mini-série Man-Thing, qui avait été initialement conçue comme une Graphic Novel devant paraître à la fin des années 1980, et qui n’a finalement été publiée qu’en 2012). Il a fallu beaucoup de temps à ce projet pour voir la lumière du jour. La première fois que j’en ai entendu parler, c’était, si je me souviens bien, vers 1990. Je voulais vous demander comment s’est déroulé le projet et pourquoi il a fallu autant de temps pour qu’il sorte.

- Kevin Nowlan : D’accord, bien sûr. Ce projet s’est arrêté plusieurs fois. C’était le dernier récit de Steve Gerber sur le personnage de Man-Thing. Il avait été le scénariste de la série dans les années 70. Au début, j’avais réalisé les trois quarts des planches, mais j’étais lent, puis je me suis retrouvé occupé sur d’autres projets. J’ai dû m’arrêter. Un ami editor qui, à l’époque, était aussi un marchand d’art, m’a acheté toutes les planches, et donc, cela m’a fait un peu d’argent en avance pour me permettre de passer du temps à terminer la Graphic Novel. Sinon, je n’aurais pas pu la terminer.  Il m’a fallu tellement de temps pour faire chaque page que c’était compliqué. Je n’ai jamais pris de leçons de peinture, vous savez, et je pensais que cela devrait vraiment être un comic-book peint, pas dessiné de manière classique au crayon et à l’encre. Je l’aurais fini en moins d’un an si je l’avais fait de la manière habituelle (4). Mais j’ai continué à essayer parce que l’action se déroulait dans au marais... Je suis un peu obsédé par les comics de années 1967 à 1974 et je me suis dit « Il faut vraiment que je fasse çà en peinture », pour qu’on ait l’atmosphère qui va bien et les couleurs. C’était la première erreur. Je ne savais tout simplement pas ce que je faisais. Et puis il y a eu beaucoup de faux départs. Par exemple (il me montre une splash-page), celle-ci est l’une des premières pages que j’ai refaites plusieurs fois. J’ai fait cette splash-page encore et encore, en essayant de déterminer comment la peindre au mieux. Et puis finalement j’ai réussi à en faire une qui me convenait très bien, une que j’aimais beaucoup. Et je l’ai envoyé à Marvel. Ils l’ont aimé. Je leur ai demandé de me la retourner pour que je puisse l’utiliser afin que les couleurs correspondent, dans la continuité, sur les pages suivantes. Normalement, ils gardent les pages qu’on leur envoie, au début, mais j’ai leur ai indiqué : « Non, je ne veux pas être payé, ne me payez pas, mais j’aimerais, par contre, que vous me retourniez la planche. » Ils ont trouvé moyen de la renvoyer à une ancienne adresse. J'avais déménagé, et donc ça a été perdu pour toujours...

- Non ?!

 - Kevin Nowlan : Voilà. Donc, après avoir réalisé cette splash page une douzaine fois et avoir finalement réussi à arriver à un résultat qui me plaisait, j’ai dû le prendre le temps d’en faire une 13ème... Voilà le genre de projet que c’était. Presque tout ce qui aurait pu mal se passer, s’est mal passé. C’était, vous savez, comme si le projet était maudit ou un truc comme çà. C’était juste pour moi un projet très difficile. Vous savez, je ne sais pas si vous l’avez vu mais j’ai fait une histoire Hulk de dix pages il y a quelques années où le tout le contraire s’est produit. Tout s’est bien merveilleusement passé comme par magie. Pourtant il y a eu des tas d’accidents, mais ce n’était que des accidents heureux. Il y en a eu tellement que c’était une vrai joie. Et en plus, c’était seulement un projet de dix pages, pas un projet avec beaucoup, beaucoup de pages. (6)

 



 - Vous savez, je me demande parfois comment les choses pouvaient relativement se passer si bien dans les temps passés, car les pages en cours de conception se baladaient beaucoup aux USA, parfois en long et en large sur le pays même. Et finalement, sur la quantité, il n'y a pas tant de récits que cela, globalement, d’histoires de pages perdues lors de leurs transits ou autres, et les cauchemars que cela engendrait.

- Kevin Nowlan : Je peux vous dire, pour le projet Man-Thing, que c’est l’editor qui a fait la bêtise. Cela faisait trois ans que je ne vivais plus à l’adresse de l’appartement qu’il a utilisé ! Il fallait vraiment se décarcasser pour trouver la mauvaise adresse, et c’est ce qu’il l’a fait. Donc oui, c’était un cauchemar. Donc ce projet, cela a été une suite de problèmes de ce type qui ont continué à se produire. A la publication, cela en a été enfin terminé. Je peux au moins célébrer cela. C’était très difficile de réaliser ce projet.

 - Je suppose que c’est un grand accomplissement pour un artiste quand on a un comic-book qu’on rêve de faire, qui qui se passe mal et qu’au final il finit par voir le jour dans de bonnes conditions. Pour les fans, c’est génial.

 - Kevin Nowlan : Vous savez, il y a beaucoup de projets dans les comics qui n’ont jamais été terminés pour toutes sortes de raisons différentes. Et c’est triste, vous savez, parce que dans votre imagination, vous imaginez cette chose parfaite qui n’existe pas vraiment. Pour l’artiste, et ensuite pour le lecteur. Il faut juste imaginer...

 - Nous parlions de Barry Windsor-Smith. Vous savez ce qu’il a fait à propos de la série limitée sur The Thing qu’il avait commencé dans les années 80, mais n’a jamais terminé ? Il y a sept ans ou huit ans, il a décidé de publier toutes les pages visibles sur son compte Facebook, donc le grand public les a découvertes comme çà, par hasard.

 - Kevin Nowlan : Je ne savais pas qu'il les avait mises sur Facebook. Scott Dumbier, qui produit les Artist’s Edition, voudrait les publier dans un recueil. Il a dit que le contenu de cette GN était vraiment très bien. Mais le problème est que le projet est incomplet…

- Je pense que BWS a posté les planches en ligne car il a perdu tout espoir de publication un jour. Mais d’autres projets de Barry Windsor-Smith n’ont jamais vu le jour. Par exemple, sa Graphic Novel art-déco pour Superman aurait été géniale.

- Kevin Nowlan : Michael Golden a aussi fait un Superman qui n’a jamais été fini.

 - Ah, je l’ignorais complètement. Dommage ! À propos des légendes du monde de la bande dessinée, je voulais vous poser des questions sur Jack B. Quick. Je voulais vous demander si c’était plaisant de travailler avec Alan Moore.

 



 - Kevin Nowlan : C’était une joie, mais c’était un travail très, très dur. Alan demande beaucoup à ses dessinateurs. Il demande très gentiment, mais il en demande des tonnes. Des choses difficiles à dessiner. Et c’était donc difficile à faire. Et je voulais faire les crayonnés, l’encrage, le lettrage et les couleurs, et cela prenait donc plus de temps. Mais sinon, non, je suis vraiment plus fier de ça que de tout ce que j'ai fait parce que les histoires sont vraiment bonnes.

 - Je les ai lus et j’ai beaucoup ri.

 - Kevin Nowlan : Oui, je les aime. C'est vraiment un petit garçon maléfique, mais il est mignon. Adorable et maléfique en même temps, oui, c’est ça.

 - ABC était vraiment une belle société d’édition.

- Kevin Nowlan : Oh oui, même si c'était Alan Moore, ils n'ont pas assez bien vendu pour continuer, donc c'est dommage.

 - Nous les avons aimés en France, mais je pense que nous avons toujours su que, d’une manière ou d’une autre, que c’était une expérience ne durerait pas très longtemps. Sur un autre sujet, j’aimerais vous demander si vous vous souvenez de l’histoire que vous avez faite pour les livres au profit des victimes des évènements du 11 septembre 2001 ? (5)

 - Kevin Nowlan : C’était censé être une histoire anonyme. Vous ne devriez même pas savoir que je l'ai dessiné ! C’était une histoire pour le bénéfice des victimes, donc le scénariste et moi voulions... nous voulions être anonymes. Ils ont laissé le nom du scénariste anonyme, mais ils ont mis le mien dans les crédits...

 - (rires) Comment pouviez-vous imaginer que vous pourriez rester anonyme avec des vignettes comme celle-là où on reconnait facilement votre style ?

 - Kevin Nowlan : Oui, je sais, je sais. Mais c’était juste, c’était l’idée, et donc c’était frustrant de voir qu’ils n’ont pas fait ce que nous demandions. Mais vous avez raison, il était évident qu’on aurait vu que c’était moi qui avais dessiné cette histoire.

 



 - Et c’était une très chouette histoire que vous avez créée ensemble.

 - Kevin Nowlan : Eh bien, lorsque le scénariste a écrit l’histoire, il l’a écrite très visuellement. Il a pensé aux Twin Towers et il l’a donc pensé de manière parallèle, vous savez. Ce qui se passe à gauche est répété sur la page de droite.

 - C’est presque votre « Fearful symetry » à vous (rires) (7)

 - Kevin Nowlan : Oui, oui, exactement !

- À propos d’un autre de vos travaux en tant que dessinateur, je ne sais pas si vous vous souvenez de ce travail, mais vous avez dessiné une jour une histoire d’une page pour un « Big Book » de Paradox Press. Vous rappelez-vous comment ces volumes étaient réalisés ? Parce qu’il y avait deux cents artistes dans ce genre de recueils, alors comment procédaient ils pour travailler avec toutes ces personnes ?


 

 - Kevin Nowlan : Je me souviens qu’on m’avait fourni un script complet. Ils énonçaient très précisément ce qui devait se passer dans chaque vignette. Je ne sais pas comment ils ont travaillé avec d’autres artistes, mais je suppose que c’était la même chose pour tout le monde. Je voulais vraiment faire mon propre lettrage parce que c’est toujours ma préférence quand on me donne le choix. Je l’ai demandé, et donc ils m’ont laissé le faire. Je me souviens avoir mis beaucoup de temps sur cette page. Il y a beaucoup de texte ; c’est presque autant de texte que de dessins. Mais le fait que j’ai dû travailler le lettrage, cela a été aussi très bon pour la gestion de l’espace. Comme cela, vous savez combien il reste de place pour le dessin. Vous ne vous retrouvez pas avec des phylactères qui recouvrent la tête d’une personne. J’étais satisfait de cette page. J’ai aimé la façon dont cela s’est passé. J’y pense, avec tout ça, voulez-vous que je signe l’un de vos comics ?

- Oui. J’aimerai beaucoup une vos couvertures sur un des numéros de Doctor Strange que vous avez fait avec Chris Bachalo. Celle-là ou peut-être plutôt celle-là. J’ai adoré la façon dont ils ont traité le logo sur cette deuxième.


  

- Kevin Nowlan : Oui, celle-ci, prenons là, parce que je l’aime beaucoup aussi. Oui, c’était une belle surprise qu’ils aient fait un effort supplémentaire et modifié le logo pour la circonstance.

 - Vous avez semblé passer un bon moment sur cette série lorsque vous étiez dans cette équipe, en alternance avec Bachalo.

 - Kevin Nowlan : Vous savez, Docteur Strange est mon personnage préféré. J’aime le personnage, j’aime le costume classique et ils m’ont donné beaucoup de liberté pour faire les choses à ma façon lorsque je travaillais sur le titre. C’était une belle expérience.

 - J’ai toujours aimé votre signature. Je la trouve belle à sa façon.

 - Kevin Nowlan : Eh bien, je vous remercie mais cela n’est pas le cas.

 - Vous avez une signature facilement repérable sur les dessins et elle est stylisée, donc j’aime.

- Kevin Nowlan : Vous savez, j’ai vu un jour quelqu’un dans une session chez un éditeur dire, eh bien... en fait, dedans, ils parlaient et ciblaient de jeunes artistes, et ils disaient : « Ne signez pas votre travail comme si vous signiez un chèque pour la banque ». Je me suis dit : « Oh, super. C’est maintenant que tu me dis ça. Quarante ans plus tard. C’est trop tard. »

 - (rires) Je tiens à vous remercier pour nos échanges. Ce fut un réel plaisir de discuter avec vous. Quels sont vos projets maintenant ?

 - Kevin Nowlan : J’espère que ce que je vais faire, c’est dessiner pour davantage m’amuser maintenant. Quelque chose par ci, quelque chose par là.

- J’espère que nous verrons encore longtemps vos œuvres et que vous apprécierez votre séjour en France.

- Kevin Nowlan : Merci beaucoup. Oui, c’est le cas. La nourriture et l’architecture sont merveilleuses ici. Les bâtiments sont si beaux. Cela fait beaucoup d’inspiration pour les comics. Lorsque nous étions il y a quelques années à Paris, ma femme et moi, ils rénovaient encore Notre-Dame. Et j’ai pris quelques photos de la cathédrale Notre-Dame. Je les ai utilisées pour une couverture de Man-Bat. Je suis sûr que vous l’auriez remarqué, ici, mais un seul artiste américain l'a repéré. Man-Bat était en vol sur la couverture, aussi j'avais juste besoin d'un bâtiment gothique de Gotham City en arrière-plan... Et j’ai donc utilisé Notre-Dame. C’était parfait : je l’ai littéralement tracée. Ca a rendu la couverture très facile à dessiner. Tout le dur labeur a été fait par les gens qui ont vécu, quoi, il y a six cents ans ? (8)

 


 - Oui. Puis-je prendre une photo de vous juste pour terminer ?

 - Kevin Nowlan : Bien sûr. Allez-y.

 - Merci encore.

 



Notes de référence :

(4)    Pour les comics, Nowlan s'était déjà essayé, cela dit, plusieurs fois à la peinture auparavant. Il signa, par exemple, la couverture de l’annual des Outsiders et la couverture du Solomon Kane #2 en 1985. A noter que les couleurs de l'original du Solomon Kane sont complètement déformées par rapport à la version publiée. Un problème de repro, sans doute.

(5)    "9-11: Artists Respond, Volume One" & "9-11: The World's Finest Comic Book Writers & Artists Tell Stories to Remember, Volume Two". L'histoire de Kevin Nowlan fut publiée dans le premier tome. Je n'ai pas osé demandé à Kevin Nowlan qui cachait derrière le mystérieux auteur. Je suis indécis sur ce sujet, mais si certains se posent la question de savoir si c’était Alan Moore avec lequel il travaillait à l’époque, pourquoi aurait-il demandé à être anonyme pour cette histoire et pas quelques pages plus loin puisque Moore avait participé à visage découvert au même recueil de cette anthologie avec sa femme, Melinda Gebbie.

(3)  6)  Il s'agit probablement de la deuxième histoire du "Immortal Hulk: Time of monsters" #1.

(4) 7)   Clin d'oeil, bien sûr, au numéro 5 du Watchmen d'Alan Moore et Dave Gibbons.

(5)    8)   Couverture alternative du Man-Bat #1 sorti en 2021.

 

dimanche 30 novembre 2025

Kevin Nowlan Entretien exclusif I

 L'un des commentateurs (ir)régulier de ce blog, fin connaisseur du monde de la bd/comics, ayant longtemps œuvré dans le haut du panier du fanzinat, Jean Marie Jonqua, a eu la gentillesse de me proposer un entretien qu'il a eu l'occasion de faire, assez récemment, avec le très grand Kevin Nowlan

Qui dit non à ça?!

Il vous est présenté en deux parties, ce jour, et vendredi 

Merci Jean Marie, et à toi de jouer


Lorsque Phil m’a donné carte blanche pour une entrée de son blog, je me suis dit que certains de ses lecteurs pourraient être intéressés par une interview d’un artiste vétéran du monde des comics. Fin Mai dernier, Kevin Nowlan, de retour de la convention du Lac de Côme en Italie, a fait une brève escale, le temps d’un week-end, à la boutique Pulp’s de Bordeaux. Ce qui n’était pas une interview, à la base, a fini par en devenir une, de fait, par la faute de mes vieux réflexes d’antan... Je tiens à remercier chaleureusement l’équipe de Pulp’s Bordeaux, qui a pu rendre cette rencontre possible, et dans les meilleurs conditions, malgré un planning très serré.

 

Kevin Nowlan évolue dans le monde de la bande dessinée US depuis plus de 40 ans. Artiste polyvalent, formé à une époque où les majors cloisonnaient moins les talents, il sait aussi bien dessiner qu’encrer, lettrer ou coloriser à l’ancienne. Personnage à l’œuvre éclectique et dispersée, il est plus connu de ses pairs que du grand public, même si ses encrages sur certains dessinateurs emblématiques, comme Bryan Hitch assez récemment, lui ont apporté,au fil de sa carrière, une certaine visibilité.

 

 

- Bonjour M. Nowlan ! Comment allez-vous ?

 

- Kevin Nowlan : Très bien. Et vous ?

 

- Très bien également, merci. Je suis très heureux de vous rencontrer. Comme vous pouvez le voir, j’ai apporté certains de vos comics pour en parler, car je vous connais depuis longtemps. Peut-être que vous aurez des anecdotes à me raconter à leur sujet, on verra !

(Je regarde quelques numéros assez récents du Docteur Strange qui étaient en haut de ma pile)

C’était très agréable de vous voir travailler en équipe avec Chris Bachalo sur Doctor Strange il y a quelques années. J’ai découvert, récemment, que votre premier travail publié dans un comic-book était justement un numéro de la série régulière Doctor Strange au début des années 80.

 

- Kevin Nowlan : Eh bien, c’était mon tout premier travail pour les comics. Je n’étais pas prêt pour ça. Ils m’ont demandé de faire un fill-in, et à l’époque, j’avais un travail régulier chez un imprimeur. Je voulais être un artiste de comic-book, mais je ne pensais pas être prêt. Et ils m’ont dit : « Oh, vas-y et fais-le quand même ». Alors, j’ai appris chemin faisant.

 

- Vous savez, ce qui m’a stupéfait lorsque j’ai découvert ce numéro, c’était que je ne pouvais pas croire que c’était votre tout premier comic-book. Oui, certes, vous aviez Terry Austin pour vous encrer, mais vos crayonnés étaient déjà bons, je trouve, et l’editor vous a même donné la possibilité de faire la couverture, et même plus : de vous encrer vous-même dessus ! C’est stupéfiant pour un premier numéro !

 


 

- Kevin Nowlan : Oui, sur une couverture. Ma toute première couverture. Je ne pouvais pas y croire non plus, oui.

 - Cette couverture était vraiment bonne pour un débutant.

 - Kevin Nowlan : Ça allait, mais pour un débutant... oui. Vous savez, l’editor était Al Milgrom. À l’époque où nous travaillions ensemble, c’était juste au téléphone. Et il y a quelques années, je l’ai finalement rencontré lors d’une convention. Et nous avons parlé pendant des heures. Sa version de l’histoire, ma version. Mais il faisait ce genre de choses. Il a aidé Mike Mignola, par exemple. Il lui a donné son premier vrai travail de dessinateur. Mike travaillait juste en tant qu’encreur d’autres artistes, ce qui paraît complètement fou maintenant. On sait l’univers énorme qu’il a créé avec Hellboy, mais, alors, il n'était même pas employé comme dessinateur. Il ne faisait qu’encrer. Alors, Al était... C’était mon type d’editor préféré, le genre de personne qui misait sur quelqu’un sans expérience.

- Je me souviens beaucoup de lui à propos de Marvel Fanfare. 

- Kevin Nowlan : Fanfare était une merveilleuse revue. C’est drôle, il m’a demandé de faire quelque chose pour Marvel Fanfare et il m’a dit : « Tout ce que tu veux, mais s’il te plaît, pas une histoire Docteur Strange ! J'en ai des piles en stock... Chaque artiste veut dessiner Doctor Strange ! »

 - Je suppose qu’il avait beaucoup d’histoires d’inventaire sous le coude pour Marvel Fanfare.

 - Kevin Nowlan : Probablement. C’est pourquoi il y avait tant d’histoires mettant en scène Doctor Strange dans Fanfare à l’époque.

 - Si je me souviens bien, vous avez fait pas mal de pinups justement pour Marvel Fanfare. J’en ai vu quelques-unes.

 - Kevin Nowlan : J’ai fait un ensemble de pinups, oui. Ils aiment ça parce que les artistes peuvent faire ce qu’ils veulent et ils n’ont pas à payer un scénariste. Ca remplit les pages... Le début des années 1980 était un bon moment pour se lancer dans les comics. Lorsque les jeunes me demandent comment se lancer et percer dans les comics maintenant, je n’ai aucune idée, car c’était une époque très différente. Tout était si différent. Je peux comprendre cela maintenant parce qu’à l’époque, il y avait de nombreuses façons d’entrer dans les comic-books d’une manière ou d’une autre.

- Il fallait sans doute louer un appartement juste en face de l’immeuble de Marvel, mettre beaucoup de planches sous leur porte, puis leur casser les pieds régulièrement pour qu’ils les publient (rires) ou alors entrer par la petite porte et devenir l’un des Romita’s Raiders (rires)

 - Kevin Nowlan : Peut-être aussi, je ne sais pas, mais c’était en tout cas c’était une bien belle période. Et justement une belle période pour moi en tant que jeune artiste.

- Vous savez, en France, nous n’avons pas eu beaucoup de chance avec vos premiers travaux, car les maisons d’éditions françaises qui publiaient du comic-book à l’époque n’ont pas traduit vos premières bandes dessinées ici (1). La plupart d’entre nous, lecteurs, ne vous ont découvert qu’aux alentours de 1988, cinq ans après votre premier comic-book ! Et la première chose que nous avons vue de vous en France a été le fameux numéro « controversé » des New Mutants, le #51. Je n’ai jamais la chance de lire, ado, vos bonnes histoires sur Moon Knight ou votre excellent annual de la série Outsiders, pour laquelle vous étiez reconnu à l’époque. Ca été donc une sorte de choc, pour nous, de vous découvrir avec ce numéro des New Mutants.

 



 - Kevin Nowlan : C’était un numéro étrange. Je l’ai dessiné délibérément dans un style différent de mon style « normal », et peut-être que je n'aurais pas dû parce que Marvel a reçu beaucoup de courriers haineux. Les lecteurs n’aimaient pas du tout ce numéro. Et c’est drôle, car je jure que, maintenant, les gens viennent me voir en convention et me disent : « Je le détestais quand il est sorti. Mais j’ai grandi et maintenant j’aime ce numéro. »

 - Je dois avouer que je fais partie de cette équipe, désolé... (grand sourire) À l’époque, en lisant ce numéro, fanboy que j’étais, je m’étais dit : « Mais qui est ce type ??? » (rires) L’incompréhension a perduré quand j’ai commencé à travailler pour un fanzine sur les comics vers 1990. À l’époque, vous aviez déjà atteint le statut d’« artist’s artist », un artiste de référence pour les autres avec ce que vous aviez déjà fait, et ici, vu de France, je ne comprenais pas pourquoi vous receviez autant de louanges de la part de vos pairs américains, du style « Kevin Nowlan est un génie de la BD qui pense en 3D ». J’avais même discuté le sujet avec certains de mes collègues du fanzine, et ils ne le comprenaient pas non plus !

 - Kevin Nowlan : Vraiment ?

- Oui. Il nous manquait des pièces du puzzle. Entre l’absence de vue sur vos premiers travaux qui étaient quand même sur des titres « secondaires »et le fait que vous ne restiez pas longtemps sur les séries, cela n’aidait pas. La plupart d’entre nous avaient une sorte d’image déformée de vous. Nous ne pouvions pas comprendre. Seules les personnes qui lisaient directement ces séries là, en VO, ici, au début des années 1980, pouvaient comprendre. Pour le numéro des New Mutants, je crois comprendre pourquoi vous aviez changé votre approche. Cela ressemblait à un style de dérivé de cartoon mais c’était avec une intention, je suppose ? D’une manière paradoxale, j’ai l’impression que vous essayiez de dessiner des adolescents plus réalistes que la façon dont ils étaient représentés dans cette série à l’époque ?

 -Kevin Nowlan : Oh, ça faisait partie de l’approche, oui. Je voulais qu’ils ressemblent à des enfants. Des enfants, exactement. Au lieu de grands adultes musculeux.

 


 - Dans le genre de ceux de Jackson Guice ? (rires) C’était du coup un grand contraste pour nous(2). Je pense qu’ici, en France, nous avons pu mieux vous découvrir cette fois en tant qu’encreur, dans les années qui ont suivi. Je vous ai beaucoup aimé, par exemple, sur Joe Quesada pour la MS « Batman: Sword of Azrael » (Je lui montre les couvertures de la séries limitée, d’époque)

 -Kevin Nowlan : Pouvez-vous me rappeler quand ce numéro a été fait, déjà ?

 - 1992.

 - Kevin Nowlan : 1992, waouh... Nous avons eu un petit bébé en 1992. (il se tourne vers sa femme, juste à côté de lui, et se sourient tous les deux)

 - Et j'ai aimé votre encrage sur Mike Mignola pour le one-shot "Aliens: Salvation » (je lui montre la couverture du one-shot)


 

- Kevin Nowlan : Oh, j’adore la façon dont Mike a dessiné ça. Vous savez, Mike était contrarié, il était en colère, parce qu'il voulait que je l'encre dessus comme j'ai encré tant d'autres personnes, en faisant beaucoup de changements. Le problème, c’est que j’aimais la façon dont il dessinait. Et je lui ai donc dis : « Non, tes crayonnés sont parfaits. Qu’est-ce que je vais pouvoir changer ? Si je changeais quelque chose, je l'affaiblirais. » Et il a répondu : « Oh, d’accord. Je suppose que je dois accepter çà. » Il voulait donc qu’il s’agisse davantage d’une collaboration de styles entre nous. Mais sachez que nous avons fait quelque chose plus tard de ce type. A cette occasion, il m’a annoncé : «Bon, maintenant cette fois, je veux que tu apportes ta patte. » Vous savez, c’était... c’était une histoire qu’il a dessinée il y a bien longtemps, qui a été perdue et ensuite redécouverte. Il allait l’encrer lui-même, et il m’a appelé. Il m’a demandé : « Est-ce que ça te dérange si je l’encre ? » Je lui ai répondu que je n’avais jamais été censé être l’encreur, que personne ne m’avait même demandé de le faire. Mais les crédits lettrés, posés sur les planches, indiquaient mon nom en tant qu’encreur ! Mais personne ne m’avait pourtant demandé de la faire. Donc, quand cette histoire a été redécouverte, Mike était parti pour l’encrer. Et puis, encore une fois, il m’a rappelé une semaine plus tard pour me dire : « Je ne reconnais même pas le gars qui a tellement dessiné toutes ces pages à la chaîne…». Il ne pouvait même plus arriver à encrer lui-même son vieux moi. Autrement dit, il avait dessiné cette histoire quinze ans plus tôt, mais il ne pouvait pas trouver la manière adéquate de le faire. C’est comme cela que je me suis retrouvé à encrer ce numéro. C’était une histoire qui devait paraître dans Secret Origins, je pense, une histoire de Batman avec Clayface (3).

 - Je ne l’ai pas dans ma collection, mais avec ce que vous me dites, je prévois de l’acheter !

- Kevin Nowlan : je pense que vous l’aimerez parce que c’est vraiment très drôle. J’espère que le dialogue marrant passe bien à la traduction en français parce que c’est très, très drôle. Oui. C'est d’ailleurs pour cela que cette histoire a été annulée la première fois, qu'elle n'a pas été publiée. Parce que l’editor a dit : non, non, nous ne pouvons pas faire une histoire Batman décalée comme celle-ci ! Puis il a annulé le projet. À un moment donné, des années plus tard, un nouvel editor de DC a redécouvert l’histoire et il a dit : « Franchement, on s’en fiche, ce n’est pas grave. Nous pouvons la publier ! »

 


 - Une Mignola vintage redécouverte bien des années plus tard, j’ai hâte de la voir ! Parlons donc des editors, de la façon dont ils vous demandaient d’encrer, alors, les dessinateurs. Voyez-vous cela maintenant comme une malédiction ou pas ? Parce que c’est un fait que de nombreuses personnes dans la profession vous voient comme un encreur au style qui s’impose, qui interprète trop les crayonnés à sa façon. Paradoxalement, quand je vois certains comics que vous avez encrés, là où vous auriez pu avoir la patte lourde, et bien rien. On a parlé de « Aliens: Salvation », mais je pense aussi, par exemple, à Art Adams pour les derniers épisodes de Jonni Future, sur lequel vous aviez réalisé l’encrage, et sur lesquels Art ne faisait plus quasiment que des layouts. Vous ne vous êtes pas mis en avant, mais vous auriez pu le faire.

 - Kevin Nowlan : l’histoire à propos de mon style d’encrage, cela a commencé lorsque j’ai travaillé sur un dessinateur où je n’arrivais pas à comprendre ses ombres. Je les ai, du coup, retravaillées, mais plus je les retravaillais, moins cela ressemblait à son travail. Le problème, c'est que certains editors ont aimé le résultat et ils ont très vite voulu ensuite que je marque de ma patte tout ce que j'encrais... Ca s’est passé comme çà. À propos de l’histoire de Jonni Future, oui, Arthur a n’a fait que des layouts pour la première histoire car c’était Bruce Timm qui était censé l’encrer. Cela aurait été intéressant et Arthur n’a donc délibérément pas poussé ses crayonnés parce qu’il voulait laisser de de la place à Bruce et à son style. Et puis Bruce a décidé de ne pas faire ce numéro, alors ils m’ont demandé. Je me souviens qu’il y avait deux histoires différentes que j’ai encré sur Arthur. La deuxième avait des crayonnés plus poussés, comme le fait souvent Arthur. Il savait que je l’encrerai pour celle-là et c’était un travail beaucoup plus conventionnel. Mais le premier numéro était un peu étrange parce que je pouvais voir qu’il avait pris délibérément du recul. Mais le style d’Arthur était si différent du mien que je ne savais pas comment l’encrer efficacement dans la première histoire. Donc, j’ai décidé qu’il était préférable de simplement « tracer les lignes » pour aider l’histoire à suivre son chemin, pas vraiment apporter ma touche.

 

- Par contre, je voulais vous demander si vous vous souvenez de la collaboration avec Steve Ditko sur l’histoire du Spectre dans le Legends of the DC Universe 80-Page Giant #1 ? Je pense que vous avez fait un excellent travail en raison des circonstances, car je sais qu’à l’époque, Ditko ne donnait que l’essentiel aux encreurs qui travaillaient sur lui.

 - Kevin Nowlan : Oh, oui, ce numéro là (en regardant la couverture que je lui montre) Malheureusement, oui, je m’en souviens. (rires)

 


 - « Malheureusement » ?

 - Kevin Nowlan : Oui, ce n’était pas bon. Les personnages étaient représentés de manière totalement minimaliste sur les pages. Et en plus, cette histoire se passe sur le Titanic. Vous savez, Ditko est l’un des plus grands. Il a créé Doctor Strange, Spider-Man avec Stan Lee. J’adore son travail, mais à ce moment-là, il ne se souciait plus vraiment de ce qu’il produisait. Le film « Titanic » est sorti avant cette histoire, à cette époque, donc tout le monde savait combien de cheminées il y avait sur le Titanic… à l’exception de Steve Ditko. Il ne le savait pas. Il a fallu corriger çà. Et la petite fille de l'histoire était vêtue... Elle n’était pas vêtue comme en 1912, ou portait des chaussures de l’époque, elle portait quelque chose des années 1960 (rires)

 - De nombreuses personnes disent que Steve Ditko était coincé dans les années 1960 (rires)

- Kevin Nowlan : Quel que soit le passé, ce seront les années 1960... Eh bien, dans ces conditions, j'ai fait de mon mieux, mais c'était très décevant parce que j'aurais aimé faire quelque chose de plus dans son style... Vous connaissez l'artiste Craig Russell ?

 - P. Craig Russell ? Oui, c’est un auteur que j’apprécie depuis longtemps.

- Kevin Nowlan : Ah, il est fantastique. L’editor lui a demandé de résoudre plusieurs problèmes pour des épisodes de ROM de Steve Ditko. Et j’ai vu ce qu’il a fait, par exemple, sur le dernier numéro, où l’editor a dit : « Oh là là, Craig, Steve Ditko a dessiné le mauvais visage ici. Tu peux faire quelque chose pour corriger çà ? » Craig a fait plus que çà. Il n'a pas seulement dessiné le bon personnage dans la vignette, en gros plan. Il l’a fait dans le style de Steve Ditko. Oui. C’était incroyable. Je lui ai posé plus tard des questions à ce sujet. Il m’a dit qu’il avait trouvé un ancien comic-book de Ditko qui comportait un visage similaire, et du coup, il a copié ce visage. Je pensais que c’était d’une grande conscience professionnelle.

 - Vous savez, il y a plusieurs encreurs qui ont eu à relever ce genre de défi avec Steve Ditko. Vous connaissez Bill Reinhold, par exemple ?

- Kevin Nowlan : Oh, oui, Bill Reinhold, bien sûr !

- Il a dû faire face à ces crayonnés simples, sur la série Phantom 2040, une incarnation du Phantom dans l’avenir, où il devait encrer les pages de Ditko. Le genre de crayonnés que vous aviez en main, peut-être juste un peu plus fournis. Il a dû « compléter » les pages en même temps que son encrage et durant toute la mini-série, il s’est posé la question de savoir ce que Ditko aurait fait s’il avait encré les pages lui-même. Et il a vraiment travaillé le sujet, travaillé dur, essayer de faire de son mieux pour copier les anciens rendus de Ditko. Je trouve le résultat plutôt bon.

 


 

- Kevin Nowlan : Je peux très bien l’imaginer. Vous savez, c’est tellement difficile de dessiner dans le style de quelqu’un d’autre…

 - Nous parlions de ROM plus tôt. Je suis un peu surpris, rétrospectivement, que les editors ne vous aient pas donné un numéro de ROM de Ditko à encrer, car à l’époque, il y avait beaucoup d’encreurs différents qui encraient Steve Ditko sur ROM. Russell, mais il y avait aussi des encrages de Tom Palmer, Brett Breeding, Bob Layton, Byrne, etc...

- Kevin Nowlan : Eh bien, l’opportunité ne s’est pas présentée ce moment-là. Je travaillais sur d’autres dessinateurs... comme le souhaitaient les editors. Mais à propos de Ditko, je vais vous dire ce que l’editor m’a dit lorsque j’ai encré cette histoire, l’histoire du Spectre. Je me plaignais à un moment et je lui ai déclaré : « Je ne sais pas quoi faire ici. Il n’y a pas assez de matière. » Et il m’a répondu : « Je comprends. Tout le monde veut encrer Ditko une fois. Personne ne veut encrer Ditko deux fois ! » (rires)

 - C’est trop amusant ! (rires)

 - Kevin Nowlan : Oui, c’est ça, on sait tous qu’il pouvait dessiner magnifiquement quand il s’en préoccupait vraiment. Mais il... Bon… Je crois me souvenir que quelqu’un lui avait même demandé à un moment donné : « Vous souciez-vous de ce genre de travaux de commande comme vous vous souciez de vos travaux personnels  ? » Et Ditko lui avait répondu : « Vous plaisantez ? »

 - Je suppose qu’il s’est de moins en moins impliqué dans ses travaux mainstream au fil des années. Après tout, il a connu plusieurs échecs notables chez Marvel ou DC dans les années 1970 et 1980 qui l’ont probablement découragé, petit à petit, et qui l’ont encouragé au contraireà s’impliquer de plus en plus dans ses œuvres auto-publiées. A partir de la fin des années 80, je pense que le peu de mainstream qu’il faisait encore était juste là pour aider à payer les factures.

 - Kevin Nowlan : Je pense aussi çà. Nous l’avons vu évoluer à partir de toutes ces choses formidables faites sur le docteur Strange et Spider-Man, bien sûr. Il a établi tout cette matière dont d’autres artistes tirent parti depuis si longtemps. Mais ensuite, il a évolué et par exemple il est allé faire quelques histoires en noir et blanc, les connaissez-vous ?

- Ses histoires pour « Creepy » et « Eerie » ? Les lavis ? Oh, oui !

 


 

- Kevin Nowlan : Elles sont géniales. Et vous pouvez deviner qu’il a adoré les faire. En grande taille en plus. C’est presque ce que Bernie Wrightson a fait de son côté. Vous savez, Bernie a travaillé auparavant sur SwampThing, puis il est allé là-bas et a fait ces histoires en N&B pour Warren. Pour moi, SwampThing, c’était... eh bien, c’est parfait. Et puis il est allé au-delà de la perfection avec ses propres histoires en N&B.

 - J’ai lu que James Warren payait les artistes à la page plus que DC ou Marvel à l’époque. Et il y avait aussi un directeur artistique, ou quelqu’un avec ce genre de fonction, là-bas, qui incitait les artistes à repousser les limites du support traditionnel, à l’époque. Alors, quand ils exécutaient des histoires pour « Creepy » ou « Eerie », parfois ces artistes étaient déchaînés.

 - Kevin Nowlan : ...et vous aviez une bonne qualité d’impression, et c’était en noir et blanc, donc il n’y avait pas un coloriste pour nuire à ce que vous aviez dessiné. Parfois, les coloristes essaient de dire : « Non, je pense que la source lumineuse devrait être là, je vais la mettre là. » C’est comme s’ils se mettaient en situation de combattre le dessin ou l’artiste, pas de travailler avec lui.

 - En parlant d’une autre situation à laquelle vous avez dû faire face, je ne peux m’empêcher de penser à la position compliquée, je trouve, à laquelle vous vous êtes retrouvé confronté avec les crayonnés de Gil Kane et John Buscema sur le « Superman : Blood of my ancestors ». Deux dessinateurs très différents avec deux styles différents, l’un prenant le relai de l’autre sur le même récit.

 - Kevin Nowlan : Oui, une autre sorte de mission particulière qu’ils m’ont confiée... Kane et John Buscema ont fait tous les deux ce que je pense que vous appelleriez plus des layouts que de crayonnés finis. J’aurais aimé pouvoir encrer des crayonnés complets plutôt que ce type de layouts. Mais... il faut reconnaître que tous les deux ont très bien dessiné. Vous savez, ce qui était là, même s’il n’y en avait pas assez, ce qui était présent était vraiment, vraiment bien.

A suivre...



Notes de référence : 

(1)   1) Doctor Strange #57, puis les participations de Kevin Nowlan aux Moon Knight #28, #29, #31, #32, #33 et #35 n'ont jamais été publiés à l'époque dans les petits formats d'Aredit / Artima qui avait pourtant les droits de ces séries, "délaissées" par Lug. En fait, les revues d'Aredit / Artima s'arrêtèrent avant que n'arrivent les épisodes de Nowlan, respectivement en 1983 et 1985. Heureusement, les collections "L'Intégrale" de Panini ont réparé depuis l'année dernière la situation en publiant une grosse partie de ces numéros. On peut espérer que, l'année prochaine, tout sera couvert.

(2)    2) Jackson Guice signa quelques temps les épisodes des New Mutants avant le fill-in de Nowlan (#40, #41, #42, #44, #45, #46, #47, #48, #50).

(3)    3) Cette histoire ("If a man beclay"), datant probablement de la fin des années 80, fut finalement publiée par DC dans le Batman Villains Secret Files and Origins de 2005 (techniquement, c'est un #2 car un #1 fut publié en 1998). J'ai fini par lire cette histoire depuis cette interview et... je ne peux que vous la recommander ! C'est effectivement souvent hilarant. Excellent scénario et dialogues de Steve Purcell, le créateur de « Sam et Max ». Ca se sent. On se croirait dans un épisode de la série TV Batman des années 60, mais en nettement mieux ! Mais, tiens... j'ai comme l'impression que ceci... n'a jamais été publié en France ?!?! Si cela peut donner des idées à certains...