Grosse entrée pour attaquer l'année
Sur un sujet non comics (quoi que)
Dès la fin de ce mois, les chanceux qui iront à Angoulème, même après le festival, pourront admirer une expo rare, celle des planches de Maurice de Bevere, dit Morris. Cette année sera l'année Lucky Luke puisque le cow-boy fête ses 70 ans. Quelques photos de la préparation de l'évènement
Sur un sujet non comics (quoi que)
Dès la fin de ce mois, les chanceux qui iront à Angoulème, même après le festival, pourront admirer une expo rare, celle des planches de Maurice de Bevere, dit Morris. Cette année sera l'année Lucky Luke puisque le cow-boy fête ses 70 ans. Quelques photos de la préparation de l'évènement
Jusque là les réels hommages ne furent pas légion. Malgré un gros
succès Morris est toujours resté, en terme d'analyse d’œuvre par
exemple, dans l'ombre de Franquin, Hergé et autres Uderzo. C'est injuste car s'il ne s'est consacré qu'à un personnage toute sa vie son apport en terme de dessin/narration/influence est du même niveau, je pense, que Uderzo. Personnellement j'ai découvert la BD Franco-Belge avec Tintin mais je ne suis pas un fan de Hergé. J'étais (et reste) fan de Franquin avant tout. J'ai découvert l'apport de Uderzo plus tard, et celui de Morris encore plus tard.
Voici l'un des seuls ouvrages consacrés à Morris. Je me souviens nettement l’avoir acheté quand j'avais 15 ou 16 ans, attiré (déjà) par le tas de docs inédit et de cuisine interne...
en particulier ce fascinant jeu de style/reprise entre Giraud et Morris. Un régal
Morris est un peu comme Mezières : il a une telle exigence dans sa volonté d'aller vers l'épure que beaucoup de lecteurs passent à côté (en dehors de la simple lecture divertissement j'entends). Franquin, tout génie qu'il soit, accroche également l'oeil du "profane" par sa profusion de détails. Morris non. Au contraire, certains lui reprochèrent son approche minimaliste de la couleur, son utilisation de la photocopie...alors que ces "excès" de repro ne furent pas si nombreux, que son dessin est génial dans le "less is more", et que son utilisation de la couleur est au moins aussi inventive (et narrative) que son trait
Voici enfin un ouvrage, chez Dargaud, qui lui rend hommage
Sorte de catalogue de l'expo il est au moins aussi bien que celui consacré à Eisner, dont j'ai parlé le mois dernier
On y trouve une iconographie riche, des photos... des dessins des débuts comme celui ci
oui celui ci. A noter que la vaste majorité des docs est tiré des originaux. Tout est visible, les retouches, les atteintes du temps, les indications de couleurs...
Je reconnais que le trait de Moris des débuts (seul au dessin et scénario) influencé cartoon (il voulait pouvoir l'animer en dessin animé, dès ses débuts) me parle peu. Sous l'influence des ses amis de Mad, qu'il côtoyait en habitant aux USA un temps, il a évolué, passant d'un certain réalisme des textes à une parodie plus nette, et d'un trait cartoon à celui que l'on va lui connaitre ensuite. Dans l'entre deux, les influences de Kurtzman et Jack Davis sont là (on peut faire pire) cf l’album Phil Defer (Harvey Kurtzman n'est pas loin)
Voici le type de repro que nous avons, souvent en pleine et grande page. Une merveille. Morris était avant tout un narrateur, mais aussi un très bon dessinateur et un excellent encreur (dommage qu'il ne soit pas fait mention de ses assistants à ce sujet, dont le principal, je crois, fut Pascal Dabere)
Le roi du pinceau
Le bouquin fourmille d'infos et d'anecdotes, comme celle présentant la véritable fin de l'un des frères Dalton originaux, avant censure par Dupuis ( à droite la version publiée)
On se souvient de certaines choses, on en apprend d'autres. L'apport important de René Goscinny est évoqué, (même s'il met très peu de jeux de mot dans Lucky Luke, Morris ne les appréciant guère), la cigarette qui disparait au profit d'un brin d’herbe lorsque Hanna Barbera touche au perso pour le dessin animé...
Les repro de planches entières permettent d'admirer le trait, l'encrage et l'approche globale
Les repro de planches entières permettent d'admirer le trait, l'encrage et l'approche globale
Si Morris usait (et abusait par moment) de très grands aplats de couleurs uniques, ce qui devint l'une de ses marques de fabrique, ce n'était pas uniquement pour des raisons techniques (les auteurs faisaient le moins de couleurs différentes possibles car l'atelier repro décalait souvent le trait) Il voyait vraiment la couleur comme un élément de narration; Il a également prouvé sur les couv et de nombreuses illustrations qu'il était aussi très bon à la peinture
Ce dessin n'est pas dans le livre mais je le mets car Morris était avant tout un passionné de chevaux et c’est par ce biais qu'il a attaqué le western. Il fut l'un des meilleurs dans le domaine
Je ne pensais reprocher qu'une chose à ce très gros livre (grand format, 300 pages) : son titre. Pas mal de art of français copient bêtement cette expression us (the art of...) et ça sonne mal en français. Mais pour le coup on peut passer l'éponge en y voyant un clin d'oeil à Morris qui fut celui qui popularisa (sans toutefois l'inventer) l'expression 9ème art
L'une des surprises du livre, côté textes, et de trouver des écrits de Jean Claude Menu. Le farouche opposant au 44cc (cartonné/couleur) adepte de l'art avant le business, est un grand fan de certains classiques et en particulier de Lucky Luke. Concilier exigence formelle, avant-gardisme et classicisme, c'est possible
L'une des surprises du livre, côté textes, et de trouver des écrits de Jean Claude Menu. Le farouche opposant au 44cc (cartonné/couleur) adepte de l'art avant le business, est un grand fan de certains classiques et en particulier de Lucky Luke. Concilier exigence formelle, avant-gardisme et classicisme, c'est possible
Je ne m'étais jamais posé la question en terme d'influence mais en "travaillant"' sur cette entrée et surtout en lisant le livre, et pas mal d'albums de Lucky Luke récemment, je m'aperçois qu'il y a une influence du trait de Morris sur deux auteurs non anglophones de mes "chouchous" (en tout cas je vois une filiation) : Thierry Martin et Denis Bodart
Me goure-je?
Autre sujet :
Aie. Les reprises! Il faudrait des dizaines d'entrées à ce sujet. De Blake et Mortimer à Asterix les reprises de grands classiques sont légion. Luke ne fait pas exception. Je me garderai de juger, n'ayant lu aucune des aventures actuelles (j'ai déjà peu lu des albums qui furent dessinés par Morris mais pas scénarisés par Goscinny...). Je vois juste que Achdé fait, comme Conrad sur le Gaulois, un boulot très proche du trait du Maitre
Ce qui m’emballe bien plus, c'est l'idée de confier le personnage à des auteurs qui apportent leur univers, leur vision des choses. Comme certains Spirou et, surtout, le one shot de Larcenet sur Valerian.
L'excellent Mathieu Bonhomme s'y collera cette année. Son style est plus réaliste et le livre devrait être beau
Que dire de celui que prépare Guillaume Bouzard!? On pourrait se dire que c'est comme faire dessiner Rahan par Ron Lim mais en fait non, c'est logique. Le gars est génialement drôle et son décalage va apporter quelque chose de détonnant. Moi cette planche, et cette demie page, ça me donne envie de vite voir la suite
Je me fais plaisir pour finir avec cette planche tirée, je crois, d'un journal Belge. Dupuis censurait beaucoup Morris, ou plutôt le bridait (de circonstance pour un western). Le passage chez Dargaud a un peu amélioré les choses (les nanas arrivent enfin dans les saloons) mais à l’occasion d'un entretien pour un journal Morris s'était lâché et avait mis dans un planche ce qu'il ne pouvait pas faire. Une image malheureusement en tout petit, mais jubilatoire
Vive Morris et sa géniale simplicité (réelle pour l'homme, apparente pour son dessin)