A l'heure où sort cette entrée, et sans tenir compte du décalage horaire, je suis, avec un certain éditeur Noir & Blanc chez l'encreur de cette œuvre ultime!
Pour un projet encore un peu "secret" dont il sera vite question (sans aucun lien avec le livre évoqué ce jour)
Chanceux? OUI!
En attendant, c'est l'occasion de montrer quelques plans rapprochés du superbe monstrueux bouquin de chez Graphitti reprenant une grosse partie des planches au format
The Dark Knight Returns est une oeuvre à part à bien des égards
C'est devenu un livre référence, incontournable dans son genre
Mais si les auteurs avait conscience de travailler sur quelque chose de particulier, d'importance, ils n'imaginaient pas son impact à venir sur des décennies et, surtout sa réalisation fut loin, très loin d'être un long fleuve tranquille
Les polémiques furent importantes, les raisons multiples, et nous reviendrons sur certaines conséquences
L'essentiel est que lorsqu'ils travaillaient ensemble, Miller et Janson avaient produits quelques uns des meilleurs épisodes de Daredevil en osmose, mais chacun cherchait aussi un peu à se "séparer" de l'autre
Des velléités d'encrage différents pour Miller, de dessin pour Janson
Toutefois, les 2 premiers épisodes, surtout le 1, furent faits à peu près dans la même osmose que sur DD avec une approche similaire
Miller fournissait des crayonnés finis que Janson terminait à sa façon, gardant l'essentiel et mettant sa patte
Le rendu final, de l'encreur, est viscéral, organique
Pas, ou si peu, de trait droits, à la règle, ou propre. Tout est sale, sombre, spontané, énergique
Dès le début avec une Gotham à la fois sombre et qui semble presque tomber en morceaux, avec un encrage rapide
La méthode Janson, un encrage fin à la plume réhaussé par endroit au pinceau, sans fluidité entre les deux approches, pour être plus cassant, est là comme sur DD
là où des encreurs marqueraient un passage en douceur entre trait fin et trait épais, Janson plaque un trait épais qui vient rehausser une zone précise, sans transition
les briques sont sales,
la cape flotte avec des épaisseurs diverses, le crosshatching (faire se croiser des traits fins pour éviter un noir complet) est aussi rapidement fait que des effets de pinceau sec
Il utilise tout ce qu'il peut : plume, pinceau, gouache blanche, feutre et doigts trempés dans l'encre
Dans cases ont presque tout, comme celle ci
Cette approche de l'encrage peut semblée "bâclée" pour un lecteur moderne habitué à un encreur attentif aux détails, à la finesse
C'est au contraire des années de travail pour arriver à cette spontanéité qui, en effet par endroit est plus rapidement exécutée, sans aucun doute, mais ce qui compte est l'intention, l'ambiance finale, le ressenti du lecteur
C'est à la fois un vrai lâcher prise et un effort conscient de spontanéité travaillée
L'encre noire est jetée, avec soin mais jetée, pour que le geste soit spontané, et c'est la gouache blanche qui vient affiner, corriger, relever
Voici une exemple de noir cassé par des doigts trempés, d'abord dans la gouache blanche, puis dans l'encre noire
par endroit Janson joue avec les codes, comme de cerner une zone au trait épais et de faire l'intérieur en plus fin, ici essentiellement sur le poing levé
Même quand l'exécution est rapide le principe est respecté : plus épais en avant plan, plus fin pour le second plan
Idem quand le dessinateur part sur du cartoon (ce qui est très présent sur DKR que l'on pense à tort entièrement "sérieux" et réaliste) et que l'encreur va vite, le premier plan est plus marqué
Cette case est celle de la "page de la discorde", quand Miller, parano depuis des années, estima que son encreur n'encrait plus et faisait encreur un assistant. ce qui est faux (des polémiques resurgissent régulièrement, en lien avec ceci, du fait d'un Todd McFarlane en mode provoc)
A partir du numéro 3 la réalisation devint chaotique. Entre la parano de Miller, l'injonction qui lui fut faite, par l'editor Dick Giordano, de ne pas donner la suite du récit à un autre encreur, une volonté de Miller d'ouvrir le livre à la couleur, la tension inévitable avec un encreur qui ne se sent plus désiré... ce fut quelque chose! Au final c'est cette lutte qui se voit sur la seconde partie de DKR et qui, pour le lecteur, est aussi passionnante que le début, voire plus
Une création dans la douleur, en partie, qui fait que quand vous voyez sur le net cette signature et cette date, il s'agit majoritairement des pages de l'encreur (répartition des originaux 1/3, 2/3) dont il s'est séparé rapidement
Sur les épisodes 2 et 3, Miller a ré encré des cases, des bouts de pages ou des pages entières
Parfois on a l'impression que c'est juste pour marquer son territoire et emmerder son encreur, parfois c'est un changement d'intention après le crayonné, et par endroits le changement est radical et interprétable selon l'affinité du lecteur
Personnellement, j'ai tellement lu ce récit, et regardé les pages, que découvrir un encrage différent, de Janson donc, est presque un choc et mon inconscient ne veut que la version publiée
Petits exemples, toujours dans l'ordre Janson/Miller
Miller a encré des cases pour enlever du noir et rester sur un trait "mort" à la plume (Miller est un homme de plume, pas de pinceau) ouvert pour la couleur
Le résultat est plus proche d'un dessin pour coloriage, pensé pour sa coloriste
Cette case ci m'a imprégné la rétine dans sa version imprimée, de Miller donc. Le trait fin rend le Joker encore plus psychopathe mais ca ne rend pas la version initiale, de Janson, inintéressante
N'aurait-il pas été plus simple de demander à Janson d'abandonner le pinceau pour la plume? (mais aurait-il accepté?)
Par endroits au contraire, le nouvel encrage de Miller vient noircir davantage (tout en gardant le principe de la plume) J'ai là une préférence pour la version Miller
Cette œuvre au final est vraiment unique à bien des titres
Cette confrontation de deux talents, deux egos, sur la page est une merveille à observer, comme le fut l'évolution graphique en direct de David Mazzucchelli sur Born Again
Un champ de bataille, un terrain d'expérimentation, des accords parfais, désaccord parfait, des ratages, des merveilles, des bâclages, des moments de grâce...
On peut revenir dessus, encore et encore (ce que je faisais, fais et ferai probablement)
Et je ne parle pas ici de la couleur qui mériterait à elle seule biens des entrées (je pense d'ailleurs à en faire au moins une, consistante)
DKR, c'est vraiment bien