Suite et fin du très intéressant entretien JM Jonqua/ Kevin NOWLAN
- Parlons de certains de vos travaux de dessinateur plus « récents ».
Je suppose que vous avez été ravi de travailler sur des histoire de l’univers d’Hellboy
avec Mike Mignola ? Je me souviens en particulier du one-shot.
- On peut appeler çà un effort collaboratif ! (rires).
- Kevin Nowlan : C’est sûr que c’est mieux d’avoir trop de crédit, au lieu de pas assez de crédit, car c’est plutôt généralement ce qui se passe.
- Auriez-vous aimé rejoindre l’équipe des « Legends » pour Dark Horse Comics à un moment donné ?
- Kevin Nowlan : Eh bien, pour moi, je trouve que « Legends » n’a pas duré très longtemps si vous y réfléchissez. Vraiment. Mike (Mignola) a fini par être le seul à y rester. Tout le monde est parti à un moment donné, et seul Mike tenait cette enseigne. John Byrne est resté aussi quelques temps avec ses Next Men, mais moins longtemps que Mike...
- Oh, à propos de John Byrne, j’aimerais vous poser une question. J’y pense maintenant car je n’ai jamais pris le temps de faire des recherches à ce sujet. Il y a un crédit de John Byrne qui vous est dédié dans un ancien numéro des Fantastic Four. C’est le numéro où She-Hulk se retrouve piégée par des paparazzis sur le toit du Baxter Building. C’est vous qui avez-vous donné l’idée de départ à Byrne ?
- Kevin Nowlan : Non, non. Ca provient d’une pinup que j’ai faite pour Marvel Fanfare. John l’a utilisée et remaniée pour la page au début de l’histoire, celle où elle prend un bain de soleil. Allongée sur le ventre, elle a fini par enlever son petit haut et donc elle a une ligne verte décolorée sur le dos. C’était l’une des pinups de mon lot pour Marvel Fanfare. C’était l’une des premières choses que j’ai faites dans les comics. John Byrne l’a vu au bureau et s’est dit: « Oh, je vais l’utiliser pour la page de démarrage de mon histoire ». L’editor m’a appelé et m’a indiqué que cela allait donc se faire. Je lui ai répondu, « Eh bien, ce n’est pas terrible parce que son histoire sera probablement publiée avant mon dessin. Donc, on dira que je l’ai volé. » Donc, John m’a appelé et ils ont mis cette petite note sympa, vous savez, dans le numéro des FF pour me créditer. Heureusement que cela s’est passé comme çà. Car oui, parfois de mauvaises choses sont arrivées à d’autres artistes lorsqu’ils ont produit quelque chose, un dessin, un planche, etc… Quelqu’un le voit sur le bureau de l’editor, ou bien, vous savez, quelqu’un en fait des copies ou autre chose, et du coup, si rien n’est fait, c’est« volé ». Ils peuvent même pomper l’image et si la leur est publiée en premier, tout le monde suppose tout simplement que le gars qui a copié est la victime plutôt que l’inverse... Heureusement, cette fois-là, au moins l’editor a fait ce qu’il fallait faire, donc...
- Il y a parfois des histoires effrayantes sur ce genre de choses. Vous connaissez probablement l’histoire de Barry Windsor Smith et son scénario destiné à la série Incredible Hulk, par exemple.
- Kevin Nowlan : L’histoire sur Hulk ? Oui, exactement. Il en a parlé dans son livre, « Monsters ». Je l’ai lu, c’est vraiment bon. C’est triste aussi, mais j’adore l’idée, parce que je suis en quelque sorte en train de partir à la retraite maintenant. J’adore l’idée qu’il ait passé des années à travailler seul. L’idée que cela se fera quand cela sera fait. Il en a fait sa propre histoire. Ce n'est plus une histoire de Hulk, c'est sa propre histoire, il ne sera pas dirigé par qui que ce soit. J’adore l’idée qu’il ait fait ça.
- BWS est devenu esprit libre. Ce n’est pas très connu, mais si vous allez sur Comic Art Fans, vous pouvez voir que Barry a pris un certain temps, au cours des années où il était « invisible », pour améliorer certaines anciennes pages qu’il avait dessinées jadis pour Valiant ou Malibu, tout en continuant à travailler sur « Monsters ». Si vous recherchez un peu et que vous avez de la chance dans votre recherche, vous pouvez voir comment étaient les pages originales avant ses modifications et ce qu’elles sont devenues. Il apportait des améliorations intéressantes. Par exemple, dans ses modifications, il rompt souvent les limites des marges d’impression initiales de la page, pour atteindre presque les bords de la page.
- Kevin Nowlan : Vous savez, je ne m’en rendais pas compte à
l’époque, mais je sais que quand il a travaillé sur « Red Nails »,
les dernières pages avaient été terminées par Pablo Marcos. Je me souviens que
Barry a fini par les ré-encrer lui-même pour une autre édition. Pablo était
intervenu pour des questions de deadline. C’était proche du style de Barry,
mais pas tout à fait, et Barry voulait donc réparer la chose. Je comprends ce
genre de choses qui peuvent vous hanter du genre « Oh, j’étais si
proche d’y arriver »...
- Kevin Nowlan : D’accord, bien sûr. Ce projet s’est arrêté plusieurs fois. C’était le dernier récit de Steve Gerber sur le personnage de Man-Thing. Il avait été le scénariste de la série dans les années 70. Au début, j’avais réalisé les trois quarts des planches, mais j’étais lent, puis je me suis retrouvé occupé sur d’autres projets. J’ai dû m’arrêter. Un ami editor qui, à l’époque, était aussi un marchand d’art, m’a acheté toutes les planches, et donc, cela m’a fait un peu d’argent en avance pour me permettre de passer du temps à terminer la Graphic Novel. Sinon, je n’aurais pas pu la terminer. Il m’a fallu tellement de temps pour faire chaque page que c’était compliqué. Je n’ai jamais pris de leçons de peinture, vous savez, et je pensais que cela devrait vraiment être un comic-book peint, pas dessiné de manière classique au crayon et à l’encre. Je l’aurais fini en moins d’un an si je l’avais fait de la manière habituelle (4). Mais j’ai continué à essayer parce que l’action se déroulait dans au marais... Je suis un peu obsédé par les comics de années 1967 à 1974 et je me suis dit « Il faut vraiment que je fasse çà en peinture », pour qu’on ait l’atmosphère qui va bien et les couleurs. C’était la première erreur. Je ne savais tout simplement pas ce que je faisais. Et puis il y a eu beaucoup de faux départs. Par exemple (il me montre une splash-page), celle-ci est l’une des premières pages que j’ai refaites plusieurs fois. J’ai fait cette splash-page encore et encore, en essayant de déterminer comment la peindre au mieux. Et puis finalement j’ai réussi à en faire une qui me convenait très bien, une que j’aimais beaucoup. Et je l’ai envoyé à Marvel. Ils l’ont aimé. Je leur ai demandé de me la retourner pour que je puisse l’utiliser afin que les couleurs correspondent, dans la continuité, sur les pages suivantes. Normalement, ils gardent les pages qu’on leur envoie, au début, mais j’ai leur ai indiqué : « Non, je ne veux pas être payé, ne me payez pas, mais j’aimerais, par contre, que vous me retourniez la planche. » Ils ont trouvé moyen de la renvoyer à une ancienne adresse. J'avais déménagé, et donc ça a été perdu pour toujours...
- Non ?!
- Kevin Nowlan : Je peux vous dire, pour le projet Man-Thing, que c’est l’editor qui a fait la bêtise. Cela faisait trois ans que je ne vivais plus à l’adresse de l’appartement qu’il a utilisé ! Il fallait vraiment se décarcasser pour trouver la mauvaise adresse, et c’est ce qu’il l’a fait. Donc oui, c’était un cauchemar. Donc ce projet, cela a été une suite de problèmes de ce type qui ont continué à se produire. A la publication, cela en a été enfin terminé. Je peux au moins célébrer cela. C’était très difficile de réaliser ce projet.
- Je pense que BWS a posté les planches en ligne car il a perdu tout espoir de publication un jour. Mais d’autres projets de Barry Windsor-Smith n’ont jamais vu le jour. Par exemple, sa Graphic Novel art-déco pour Superman aurait été géniale.
- Kevin Nowlan : Michael Golden a aussi fait un Superman qui n’a jamais été fini.
- Kevin Nowlan : Oh oui, même si c'était Alan Moore, ils n'ont pas assez bien vendu pour continuer, donc c'est dommage.
- À propos d’un autre de vos travaux en tant que dessinateur, je ne sais pas si vous vous souvenez de ce travail, mais vous avez dessiné une jour une histoire d’une page pour un « Big Book » de Paradox Press. Vous rappelez-vous comment ces volumes étaient réalisés ? Parce qu’il y avait deux cents artistes dans ce genre de recueils, alors comment procédaient ils pour travailler avec toutes ces personnes ?
- Oui. J’aimerai beaucoup une vos couvertures sur un des numéros de Doctor Strange que vous avez fait avec Chris Bachalo. Celle-là ou peut-être plutôt celle-là. J’ai adoré la façon dont ils ont traité le logo sur cette deuxième.
- Kevin Nowlan : Oui, celle-ci, prenons là, parce que je l’aime beaucoup
aussi. Oui, c’était une belle surprise qu’ils aient fait un effort
supplémentaire et modifié le logo pour la circonstance.
- Kevin Nowlan : Vous savez, j’ai vu un jour quelqu’un dans une session chez un éditeur dire, eh bien... en fait, dedans, ils parlaient et ciblaient de jeunes artistes, et ils disaient : « Ne signez pas votre travail comme si vous signiez un chèque pour la banque ». Je me suis dit : « Oh, super. C’est maintenant que tu me dis ça. Quarante ans plus tard. C’est trop tard. »
- J’espère que nous verrons encore longtemps vos œuvres et que vous apprécierez votre séjour en France.
- Kevin Nowlan : Merci beaucoup. Oui, c’est le cas. La nourriture et l’architecture sont merveilleuses ici. Les bâtiments sont si beaux. Cela fait beaucoup d’inspiration pour les comics. Lorsque nous étions il y a quelques années à Paris, ma femme et moi, ils rénovaient encore Notre-Dame. Et j’ai pris quelques photos de la cathédrale Notre-Dame. Je les ai utilisées pour une couverture de Man-Bat. Je suis sûr que vous l’auriez remarqué, ici, mais un seul artiste américain l'a repéré. Man-Bat était en vol sur la couverture, aussi j'avais juste besoin d'un bâtiment gothique de Gotham City en arrière-plan... Et j’ai donc utilisé Notre-Dame. C’était parfait : je l’ai littéralement tracée. Ca a rendu la couverture très facile à dessiner. Tout le dur labeur a été fait par les gens qui ont vécu, quoi, il y a six cents ans ? (8)
Notes de référence :
(4)
Pour les comics, Nowlan s'était déjà essayé,
cela dit, plusieurs fois à la peinture auparavant. Il signa, par exemple, la
couverture de l’annual des Outsiders et la couverture du Solomon Kane #2 en
1985. A noter que les couleurs de l'original du Solomon Kane sont complètement
déformées par rapport à la version publiée. Un problème de repro, sans doute.
(5)
"9-11: Artists Respond, Volume One" & "9-11: The
World's Finest Comic Book Writers & Artists Tell Stories to Remember,
Volume Two". L'histoire de Kevin Nowlan fut publiée dans le
premier tome. Je n'ai pas osé demandé à Kevin Nowlan qui cachait derrière le
mystérieux auteur. Je suis indécis sur ce sujet, mais si certains se posent la
question de savoir si c’était Alan Moore avec lequel il travaillait à l’époque,
pourquoi aurait-il demandé à être anonyme pour cette histoire et pas quelques
pages plus loin puisque Moore avait participé à visage découvert au même
recueil de cette anthologie avec sa femme, Melinda Gebbie.
(3) 6) Il s'agit probablement de la deuxième histoire du "Immortal Hulk: Time of monsters" #1.
(4) 7) Clin d'oeil, bien sûr, au numéro 5 du Watchmen
d'Alan Moore et Dave Gibbons.
(5) 8) Couverture alternative du Man-Bat #1 sorti en 2021.

















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