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vendredi 28 juillet 2017

Bat Cases

 Je suis dans mon projet de bouquin sur le "storytelling vu par Romita jr" jusqu'au cou. J'en montrerai des bouts plus tard mais là j'ai trouvé "amusant" de constater à quel point des scénaristes ont perdu un certain bon sens en chargeant à outrance les pages de textes. Depuis que la mode est au "full script" on dirait qu'ils sont payés au mot!
Regardez cette case. JRjr a laissé un petit peu d'espace pour du texte (et encore, à condition que le machin ailé en fond ne soit pas important dans l'histoire) et Snyder nous balance 5 bulles pleines de texte!
Je suis peut être un peu extrémiste (quoi que) en disant, reprenant Eisner, qu'il ne faudrait qu'une bulle par perso et par case, mais là quand même, c'est excessif, on dirait presque du Bendis
 C'est mieux sur cette silhouette de Wonder Woman
 
Idem ici, quelle idée de charger autant une case déjà bien saturée au crayon et encore plus à l'encrage

J'associe ce trop plein à l'influence (mauvaise) du cinéma : déjà que les films "obligent" les comics à être "réalistes" avec les costumes qui deviennent des armures...mais la surenchère indigeste d'effets spéciaux sur grand écran semble influencer des maisons comme DC ou Marvel qui veulent un trait de crayon plein de détails+un encrage à l'avenant+une colo qui en fait des caisses...S'y on ajoute les tartines de texte, le tout sur un format comics, donc petit, ça commence à faire beaucoup en terme d'illisibilité potentielle

9 commentaires:

Laurent Lefeuvre a dit…

La dernière case, montrée en 3 étapes, est plus qu'éloquente.

Quand JR jr a terminé son travail, la silhouette de dos de Batman se détache grâce à la fumée, pour qu'on voit bien qu'il regardde vers le fond de la pièce (là où il y a un max de dégâts).

Au niveau de l'encrage (pas mauvais dut tout en terme de technique), on perd déjà un peu de cette intention subtile (masque noir légèrement tourné vers là où le regard se porte).

Tandis qu'à la couleur, c'est le nuage blanc et l'épée de feu qui "encadrent la tête de Batman. Du coup, on ne sait plus que Batman évalue les dégâts d'un regard, ni où il regarde à cause de cette débauche (évidemment superflue) d'effets et brillances.

Une dernière étape renforce cette perte de lisibilité de la case : les textes.

Qu'ils soient fournis sont une chose, mais que le lettreur ne les fondent pas sur les côtés de la case, comme un encadrement, sur la gauche, et la droite, réduit encore un espace déjà bien restreint étape par étape.

Au final, c'est du "téléphone arabe" : chaque intervenant perd quelque chose du message initial.

Au final... quelle bouillasse !

Je suis un partisan de l'école "autant qu'il est possible, et à moins de trouver des gens complémentaires (Miller/Janson, Silvestri Green): une seule tête pour en faire un maximum".

(la formule a déjà fait ses preuves : Hermann, Kevin Nowlan, Mignola, Toth, Bourgeon, Crumb, Eisner, Mœbius...)

Philippe Cordier a dit…

Jolie analyse Laurent, merci
Et Lionel je suis complètement de ton avis sur ces scénaristes qui disent, souvent sincèrement j'imagine, aimer un auteur, et le pourrisse de textes
Snyder est un bon exemple: il a rencontré Jr (son quasi voisin) pour lui dire toute l'admiration qu'il lui voue, puis il lui donne des script détaillés et blindés de textes!?

Parce qu'au final il veut donner l'impression que le lecteur en a pour son argent avec des pavés? raté et contre productif

RDB a dit…

Je vais détoner, et même me faire un peu l'avocat du diable dans cette affaire, mais les dialogues, même abondants, ne me semblent pas le vrai problème. Le souci, c'est (ce sera toujours, car c'est la base même de la BD) le découpage et la composition des plans.

Puisqu'ils sont cités, prenons les exemples de Claremont et Bendis, taxés d'être des scénaristes trop bavards. Si ces gars-là confient leurs scripts à des dessinateurs doués pour le découpage et la composition des images, le texte passe quoi qu'il arrive (qu'il soit abondant ou bref). Claremont a travaillé (je m'en tiens à ses X-Men) avec Cockrum (un artiste classique), Byrne (doué pour le dynamisme), Smith (le trait élégant, école Toth), Romita Jr (l'énergie, encore contenue mais présente), Silvestri (la nervosité), et on peut ajouter (pour des titres associés, comme Wolverine et Exclaibur) Alan Davis et John Buscema (pas de petits joueurs, des artistes complets). Bendis est passé entre les mains de gens aussi divers que Finch, McNiven, Yu, Immonen, Bachalo, Deodato, Gaydos, Janson, Sienkiewicz et j'en passe - des styles très variés, mais tous des pointures, avec quelques virtuoses dans le lot.

Que l'écriture des dialogues soit aujourd'hui sous influence, des séries télé ou du ciné (dans ce dernier cas, l'influence était aussi valable alors du temps de Claremont), je ne sais pas. Il est possible que les séries télé aient aussi intégré des tics d'écriture du roman, du feuilleton, des comics, et bien entendu du cinéma, du théâtre (qui, en matière de "bavardage", est la base de tout puisque le texte est la base de tout).

Mais le metteur en scène d'une pièce, d'un film ou d'un épisode de série, a son équivalent en BD : c'est le dessinateur. Tu cadres serré une scène avec des bulles bien remplies, voire multiples, le plan paraîtra de toute manière encombré, surtout si l'angle de vue est plat (à hauteur d'homme). Donc la lecture est peu digeste parce qu'on a l'impression que le dessin est supplanté par le texte (qui plus est si le texte raconte quelque chose de pas très intéressant, ou est répétitif).

Tu donnes les mêmes contraintes à un artiste qui fait l'effort de concevoir une image où la disposition du texte est intégré au plan, à la composition de l'image (avec un angle de vue plus original qu'un plan à plat) et inscrit dans un découpage qui invite le regard à glisser avec fluidité sans pour autant perdre ni le fil ni zapper ce qui se dit entre les persos, et ça marche tout seul.

A mon avis, c'est déplacer le problème que d'accabler le seul scénariste (même si celui-ci peut parfois se laisser aller, mais il faut admettre que des fois un dialogue un peu consistant est la seule manière d'avancer, jouer l'ellipse, la suggestion, être trop allusif rendrait le moment incompréhensible, différerait l'explication de la scène). Un scénariste doit tenir compte des forces et faiblesses du dessinateur en lui donnant un script qui joue davantage sur ses forces (pour Romita Jr en l'occurrence, le mouvement, la représentation de la puissance). Mais le dessinateur ne doit pas non plus se contenter de ce qu'il sait le mieux faire : il est là pour challenger le script (c'est une des leçons de Toth comme de Eisner et tant d'autres). Si Romita Jr n'est pas à l'aise avec des "talking heads", il faut aussi qu'il se rappelle qu'à une époque il se sortait les doigts pour les mettre en scène avec plus de souplesse (Kirby, sa grande influence, se dépatouillait bien avec les pavés que balançaient parfois Stan Lee !).

Enfin, d'une manière générale, c'est peut-être là le vrai souci de JR Jr depuis qu'il est chez DC : n'avoir pas trouvé son scénariste, et même son histoire, alors que chez Marvel il a servi des scribes très divers mais avec lesquels il semblait plus inspiré. Vivement qu'il retrouve Miller pour leur "Superman Year One" ?

Philippe Cordier a dit…

Tu n'es pas en contradictiosn avec ce que Laurent et moi disons
la méthode Marvel nécessit(ait) des pointures au dessin, et même quand tu cites le bavard Claremont il était un peu dans ce cas, et en effet il jouait des forces de son dessinateur
Bendis moins, de ce que j'en lis (pas tout du tout,donc)
Un scénariste doit s'adapter, ce que je ne les vois que très peu faire, et un dessinateur également, ce qu'il sont obligés de faire puisqu'ils ont, pour la plupart, un carcan avec le scénar ultra découpé
Le principe de différents intervenants (script, dessin, encre, lettrage, colo...) est une des choses qui passionnent dans les comics, et ses combinaisons, mais il faut bien admettre que souvent...
too many cooks spoil the soup :)

Sinon oui il manque un scénariste à JRjr. Miller sur Sup oui si c'est bien lui qui fait 100% du scénar

Johann a dit…

Très interessant tout ce que vous dites. J'aurais quand même pour le coup tendance à mettre ça sur le dos de Snyder(mais je dois avouer que je n'ai encore jamais aimé son travail, donc je ne suis peut être pas objectif). Je pense par contre qu'effectivement les différentes histoires qu'on a confié à Romita Jr ces derniers temps ne ne lui conviennent pas (cependant, j'avais pris beaucoup de plaisir sur le début de son run sur Superman où j'avais l'impression qu'il était justement très à l'aise, malgré les limites du scénar c'était très dynamique).
J'espère de tout coeur que Frank Miller s'occupera bien du scénario de Year One et qu'il réparera l'affront DK III. Je peux me tromper mais je n'ai pas l'impression qu'il aie réellement écrit quoi que ce soit de Dark Knight III (aucun reproche à ça, ça se sentait dès l'annonce du projet). Par contre j'avoue avoir pris en plein ventre ses back up... Je ne lui reproche même pas son style (Frank Miller est mon héros en partie parce qu'il n'a jamais fait la même chose, je ne vais pas commencer à lui reprocher ça maintenant), mais en terme de narration et de découpage ça me désole de l'admettre mais je trouve ses back up absolument misérables et je dois dire que c'est son premier travail que je n'aime absolument pas et que je ne saurai pas défendre. Ca peut arriver et ça n'entachera jamais tout l'amour que j'ai pour lui mais je l'attends vraiment au tournant sur Year One et la suite de 300, je refuse de croire qu'un conteur tel que lui puisse faire à nouveau quelque chose comme ça et j'espère être sacrément soulagé :)
Au passage, je te souhaite un bon courage pour ton livre, prend tout ton temps mais il me tarde vraiment de lire ça !

jimmyraker a dit…

steve ditko se plaignait de ça aussi : il trouvait que les dialogues cachaient et dénaturaient ses dessins

Philippe Cordier a dit…

Tout est dans le travail en duo dans l'intérêt du livre/comic, et sans bataille d'ego
Quand le dessinateur et le scénariste vont dans le même sens, c'est géant, mais quand chacun tire la couverture vers lui c'est la cata
Il y a des exceptions, mais c'est rare, j'en vois 2, énormes : Lee allait souvent ""contre le dessins de Kirby et le résultat était le meilleur des deux. Claremont allait souvent contre Byrne et là encore le choc des égos donnait un résultat extra, mais c'est rare
Et merci Johann, le bouquin avance bien, un peu plus d'info avant mi août

RDB a dit…

Je tiens quand même à préciser que, même si ça en avait l'air, mon commentaire n'était pas une plaidoirie pour Snyder, qui est un scénariste dont tout ce que j'ai lu m'est toujours tombé des mains (au-delà de ses dialogues, c'est surtout la longueur invraisemblable de ses histoires qui m'a découragé, alors qu'il peut démarrer très fort).

En revanche, ce qui m'ennuie (pour ne pas dire plus...), c'est ce sempiternel procès qu'on fait aux scénaristes actuels (et parfois passés, mais là, il y a comme une indulgence, peut-être à cause du statut d' "anciens" et le respect dû... Même si respect et fan sont deux mots qui ne vont pas naturellement de pair) d'être "bavard". A partir de quelle quantité de textes (sous forme de voix-off, de bulles de dialogues) une BD devient-elle bavarde ?
Le texte ne doit bien sûr pas devenir une succession de palabres entre personnages ou de pensées (ajoutant à la narration sans répéter ce que raconte l'image), mais c'est délicat à doser entre la nécessité d'informer le lecteur des enjeux de l'intrigue, des réactions, échanges et réflexions des personnages, et le plaisir que s'offre le scénariste de styliser.
Ce dernier point (la stylisation du texte) est le plus tendancieux parce que c'est la voix de l'auteur qui s'exprime et lui permet de s'approprier les personnages. Il arrive souvent qu'on taxe tel auteur de commettre du "out of character" parce qu'il l'écrit en divergeant de la manière habituelle, canonique, d'un héros. Mais souvent il me paraît que c'est justement en osant faire ce pas de côté, en adoptant une nouvelle écriture, bref en osant briser le moule originel qu'on a droit à des versions plus puissantes, mémorables de certains persos (si Miller n'avait pas réinterprété à la sauce roman noir DD, s'en souviendrait-on encore ? Si Wein puis Claremont n'avait pas revisité les X-Men, idem. Etc.).

Pour railler le style des dialogues de certains auteurs, on exagère leurs tics (par exemple, les relances de Bendis qui s'appuient sur la répétition de la dernière phrase d'un perso). Est-ce que c'est artificiel, pompé sur les dialogues de cinéma, ou un essai de reproduire les hésitations du langage normal où tout n'est pas fluide ? Et est-ce sacrilège dans une BD ? Le rythme s'en ressent forcément, mais en même temps c'est aussi une astuce pour se distinguer des autres dialoguistes. Certains misent tout sur la construction solide de l'intrigue, d'autres sur l'ambiance, d'autres sur les dialogues, d'autres sur la distanciation par rapport au genre même. Je ne crois donc pas qu'il y ait une seule manière, définitive, d'écrire. Je crois surtout qu'il y a plusieurs sensibilités d'écriture et de lecture, mais dans les lecteurs s'érigent en juges (estimant ce qui est bien écrit de ce qui ne l'est pas) quand ils sont plus ou moins sensibles à tel ou tel style.
C'est dommage, parce qu'on n'entend pas de jugement aussi sévère pour le dessin alors qu'il sollicite aussi notre capacité à accepter tel ou tel traitement, et, plus encore, à nous montrer à quel point tel style graphique convient plus ou moins à tel style d'écriture. En l'occurrence, il est flagrant de voir à quel point, malgré son activité toujours aussi intense chez DC, Romita Jr n'a pas eu (pas encore) un scénariste qui lui correspond autant que, jadis, aussi bien Nocenti, Miller, JMS et j'en passe.

Philippe Cordier a dit…

Argh, blogger me plante avant que je n'envoie ma longue réponse
En résumé je regrette que des nouveauté intéressantes, comme l'approche de Bendis, soient devenues des tics lassant
Ce qui est valable pour le dessin (répétition, absence de prise de risque...) l'est aussi pour un scénariste
Pour moi tout est dans la confiance et le lâcher prise; Confiance en soi ("mon intrigue est assez solide pour que je la confie à un autre") confiance en l'autre ("il saura en faire un bon découpage")
Marrant que tu cites l'un de mes runs fétiches, DD par Nodenti et Jrjr car justement, sur le papier, il n'étaient en rien compatibles. Que ce soit politiquement, en terme de choix d'histoires...C'est parce que Nocenti a fait confiance au talent (naissant) de narrateur de Jr, et que ce dernier a accepter de porter des histoires qu'il n'aurait pas forcément porté spontanément, que le mélange des deux a fonctionné, au delà de toute espérance