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mardi 15 novembre 2022

Watchmen par...

 ...Franck Biancarelli

Il y a déjà près de 3 ans, il venait nous présenter, ici, sa vision d'un album dessiné par Mr Schuiten

Aujourd'hui, pile pour mon  anniversaire, il vient (presque) m'éviter de "travailler", en nous proposant une interprétation, la sienne donc, d'un épisode de la maxi série mythique Watchmen

Celui ci


Ne décelerait on pas une certaine symétrie dans la compo de cette couv ? Mais si, et le titre en est...Fearful Symmetry!

J'ajoute la page 1, et vous aurez logiquement, en toute fin, la dernière


Maintenant je ne parle plus, place aux mots d'un dessinateur, Monsieur Franck Biancarelli, merci à lui

Fin des années 80, Terry Gilliam devait tourner le premier long métrage tiré des Watchmen.
La production, sachant Alan Moore grand fan du réalisateur de Brazil, demanda à Gilliam de le convaincre de cautionner le film, en mettant son nom au générique.
La rencontre n’eut pas l’effet escompté.
Moore aurait persuadé Gilliam que ses comics ne se prêtaient pas à une adaptation, du coup le réalisateur aurait choisi de ne pas réaliser le film.

Je ne sais pas si cette histoire est une légende ou pas, mais elle me plait vraiment.

Personnellement, j’accepte bien volontiers l’idée que n’importe quel créateur puisse décider de relier la Bande dessinée, qui au cinéma, qui à la littérature, qui à la peinture, ou qui à un simple exercice de narration. La Bande Dessinée n’est pas imperméable au monde de la création, elle se nourrit des autres arts.
Mais, en fin de compte,  les bandes dessinées qui me font vibrer le plus sont celles qui n’appartiennent qu’à la Bande Dessinée, sans faire de réelles concessions aux autres médiums.

De ce point de vue Watchmen est exceptionnel.
Alan Moore y développe une vision antiromantique originale et démythifiée des super-héros.
En 1986 c’était déjà suffisant pour créer un électrochoc auprès des lecteurs.
Mais à l’époque, ce qui m’a comblé d’admiration, plus encore que l’innovation scénaristique, était la subtilité de la mise en pages et de la construction du scénario.
Sa façon de jouer avec le médium est hors norme à plus d’un égard et le chapitre Fatale Symétrie est à ce titre édifiant.

Cette histoire est aussi un polar, avec ses éléments d’enquête et son traitre digne d’une tragédie antique.
Tout au long de l’histoire Moore ne se contente pas de nous attirer sur des fausses pistes, ce serait trop simple. Il sème aussi constamment des indices pour le lecteur attentif qui aura compris que ce titre « Fatale Symétrie » est lourd de sens.

L’angle d’attaque de cet épisode est parfaitement inédit et intimement lié à une écriture exclusive à la bande dessinée.
Moore y présente Ozymandias, « celui qui apportera la mort ».
Ce personnage doit donner l’impression qu’il incarne le héros parfait et il est spécialement convaincant dans ce rôle.
Mais à y regarder de plus près, on s’ aperçoit que Moore donne des indices qui laissent entendre à qui s’en donne la peine, qu’Ozymandias est en fait le méchant de l’ affaire.
Moore découpe son épisode de façon parfaitement symétrique en termes d’images et construit donc la seconde moitié de son épisode en miroir à la première. Cette symétrie ne se voit jamais sauf dans les deux pages centrales, pages où Ozymandias commet précisément un crime alors que tout laisse penser qu’il se défend contre un criminel.
Ainsi, au moment ou cette symétrie fatale se révèle, Moore nous y révèle aussi la véritable nature d’Ozymandias.
Tout Watchmen est résumé dans ces deux pages.




On peut parfaitement adapter le scénario de façon linéaire. Il nous laisserait croire qu’Ozymandias est un héros qui vient d’échapper à un attentat et le spectateur comprendrait à la fin qu’il s’ agissait d’un leurre. Mais ce serait forcément sans tout ce langage souterrain, impossible à énoncer à l’oral, qui nous dit avec brio qu’il faut se défier des apparences.
Moore pousse encore plus loin la sophistication de la symétrie. Le destin d’Ozymandias, criminel désigné comme héros, nous est raconté parallèlement à celui de Rorschach dont le nom fait écho aux tests psychologiques qui consistent à interpréter des taches qui sont, elles aussi, symétriques…
Rorschach vrai héros qui sera traité en criminel.



Moore conclut enfin cet épisode par une citation d’un poème de William Blake : « Tigre, tigre flamboyant dans les forêts de la nuit, quelle main, quel œil immortel traça ta fatale symétrie ? ». Moore nous murmure ainsi un dernier indice quand à ce que cet épisode à de si charnière.
Là encore, au cinema, on imagine assez mal une voix off citer ce poème sans que cela semble parachuté de nulle part.


9 commentaires:

Michael Picaud Bernet a dit…

Et bien bon anniversaire Phil !! (j'ai l'impression qu'on te la souhaité il n'y a pas si longtemps que ça...).

Super entrée Franck!
Et malgré le fait que je n'apprécie pas beaucoup les adaptations ciné, j'aime bien quand des comparaisons, des liens se font (ou se défont ) entre le 9éme et le 7éme art.

Deux langages différents que j'aime mettre en parallèle sur ce qui pourrait marcher ou non dans l'un ou l'autre média (comme tu l'as fais).
Et après tout une des bases du ciné reste le storytelling.

Et en plus si tu cites Terry Gilliam et Alan Moore dans la même phrase, je suis conquis.

Anonyme a dit…

"Fearful Symmetry"

AKA le titre initial de Kraven's Last Hunt.

Philippe Cordier a dit…

Merci Michael!

Ah mais oui je me demandais où j'avais déjà lu ce titre, c'est bien Kraven

L'Anonyme a dit…

Merci Franck pour l'essai, et bon anniv', Phil.

Philippe Cordier a dit…

Franck a l'air occupé (l'est même pas sur fb) mais il passera bien

Et merci A. Nonyme

Paul Raffy a dit…

Magnifique article de Franck sur cet épisode de Watchmen.
J'avais déjà lu une analyse de cet épisode, qui s'attachait plus à la forme qu'au fond : Watchmen’s Fearful Symmetry: (almost) frame by frame
Quand tu comparais DKR et Watchmen en parlant du cerveau et des tripes, on a ici une parfaite illustration. Mais, quand même, je me demande si Moore n'a pas poussé le bouchon un peu trop loin ? J'avoue humblement que je ne suis pas capable de décrypter ce genre de truc, même si le poème de William Blake à la fin semble donner la clef cette énigme digne de Sherlock Holmes.

Et puisque cette date est assez spéciale pour toi : Joyeux anniversaire Phil - lihP eriasrevinna xueyoJ !

Franck.Biancarelli a dit…

Désolé, les amis, pour le retard à l'allumage. Je réponds à Laurent :
Oui, je fais des choses du genre, assez régulièrement.
Mes efforts de structure n'imbriquent pas toujours le scénario et la mise en scène puisque je ne suis pas le scénariste de mes bouquins mais c'est parfois le cas.
-Dans le tome 3 du Livre des Destins. Certaines cases sont reprises de deux façons différentes pour raconter en se complétant des moments de l'histoire mais généralement, personne ne s'en rend compte, haha.
-Dans le tome 4, j'ai proposé à Serge qu'on raconte deux histoires en parallèle, de façon à ce qu'on puisse lire le livre de deux façons différentes.
-Le livre que je suis en train de faire pourrait être monté de deux façons différentes, etc..
Tout ça m'amuse même si ça n'amuse que moi.

Franck.Biancarelli a dit…

Sinon, merci Phil.
C'est cool d'avoir parfois l'occasion de mettre ses pensées en ordre.

Franck.Biancarelli a dit…

Toujours en réponse à Laurent.
Mon point de vue sur mon dessin (pas celui des autres, je ne lis pas que des choses qui ressemblent à ce que je fais, loin de là) c'est qu'il doit le plus possible s'invisibiliser, alors je fais peu de variations graphiques une fois le style de l'album décidé.
Et généralement, ce style est plutôt introverti, je ne pratique pas les styles flamboyants.