L'un des commentateurs (ir)régulier de ce blog, fin connaisseur du monde de la bd/comics, ayant longtemps œuvré dans le haut du panier du fanzinat, Jean Marie Jonqua, a eu la gentillesse de me proposer un entretien qu'il a eu l'occasion de faire, assez récemment, avec le très grand Kevin Nowlan
Qui dit non à ça?!
Il vous est présenté en deux parties, ce jour, et vendredi
Merci Jean Marie, et à toi de jouer
Lorsque Phil m’a donné carte blanche pour une
entrée de son blog, je me suis dit que certains de ses lecteurs pourraient être
intéressés par une interview d’un artiste vétéran du monde des comics. Fin Mai
dernier, Kevin Nowlan, de retour de la convention du Lac de Côme en Italie, a
fait une brève escale, le temps d’un week-end, à la boutique Pulp’s de Bordeaux.
Ce qui n’était pas une interview, à la base, a fini par en devenir une, de
fait, par la faute de mes vieux réflexes d’antan... Je tiens à remercier
chaleureusement l’équipe de Pulp’s Bordeaux, qui a pu rendre cette rencontre
possible, et dans les meilleurs conditions, malgré un planning très serré.
Kevin Nowlan évolue dans le monde de la bande
dessinée US depuis plus de 40 ans. Artiste polyvalent, formé à une époque où
les majors cloisonnaient moins les talents, il sait aussi bien dessiner
qu’encrer, lettrer ou coloriser à l’ancienne. Personnage à l’œuvre éclectique
et dispersée, il est plus connu de ses pairs que du grand public, même si ses encrages
sur certains dessinateurs emblématiques, comme Bryan Hitch assez récemment, lui
ont apporté,au fil de sa carrière, une certaine visibilité.
- Bonjour M. Nowlan ! Comment
allez-vous ?
- Kevin Nowlan : Très bien. Et vous ?
- Très bien également, merci. Je suis très heureux de vous rencontrer. Comme vous pouvez le voir, j’ai apporté certains de vos comics pour en parler, car je vous connais depuis longtemps. Peut-être que vous aurez des anecdotes à me raconter à leur sujet, on verra !
(Je regarde quelques numéros assez récents du Docteur Strange qui étaient en haut de ma pile)
C’était très agréable de vous voir travailler en équipe avec Chris
Bachalo sur Doctor Strange il y a quelques années. J’ai découvert, récemment,
que votre premier travail publié dans un comic-book était justement un numéro
de la série régulière Doctor Strange au début des années 80.
- Kevin Nowlan : Eh bien, c’était mon tout premier travail pour les
comics. Je n’étais pas prêt pour ça. Ils m’ont demandé de faire un fill-in, et
à l’époque, j’avais un travail régulier chez un imprimeur. Je voulais être un
artiste de comic-book, mais je ne pensais pas être prêt. Et ils m’ont
dit : « Oh, vas-y et fais-le quand même ». Alors, j’ai appris
chemin faisant.
- Vous savez, ce qui m’a stupéfait lorsque j’ai découvert ce numéro,
c’était que je ne pouvais pas croire que c’était votre tout premier comic-book.
Oui, certes, vous aviez Terry Austin pour vous encrer, mais vos crayonnés
étaient déjà bons, je trouve, et l’editor vous a même donné la possibilité de
faire la couverture, et même plus : de vous encrer vous-même dessus !
C’est stupéfiant pour un premier numéro !
- Kevin Nowlan : Oui, sur une couverture. Ma toute première
couverture. Je ne pouvais pas y croire non plus, oui.
- Je me souviens beaucoup de lui à propos de Marvel Fanfare.
- Kevin Nowlan : Fanfare était une merveilleuse revue. C’est drôle,
il m’a demandé de faire quelque chose pour Marvel Fanfare et il m’a dit :
« Tout ce que tu veux, mais s’il te plaît, pas une histoire Docteur
Strange ! J'en ai des piles en stock... Chaque artiste veut dessiner
Doctor Strange ! »
- Il fallait sans doute louer un appartement juste en face de l’immeuble de Marvel, mettre beaucoup de planches sous leur porte, puis leur casser les pieds régulièrement pour qu’ils les publient (rires) ou alors entrer par la petite porte et devenir l’un des Romita’s Raiders (rires)
- Vous savez, en France, nous n’avons pas eu beaucoup de chance avec vos premiers travaux, car les maisons d’éditions françaises qui publiaient du comic-book à l’époque n’ont pas traduit vos premières bandes dessinées ici (1). La plupart d’entre nous, lecteurs, ne vous ont découvert qu’aux alentours de 1988, cinq ans après votre premier comic-book ! Et la première chose que nous avons vue de vous en France a été le fameux numéro « controversé » des New Mutants, le #51. Je n’ai jamais la chance de lire, ado, vos bonnes histoires sur Moon Knight ou votre excellent annual de la série Outsiders, pour laquelle vous étiez reconnu à l’époque. Ca été donc une sorte de choc, pour nous, de vous découvrir avec ce numéro des New Mutants.
- Oui. Il nous manquait des pièces du puzzle. Entre l’absence de vue sur vos premiers travaux qui étaient quand même sur des titres « secondaires »et le fait que vous ne restiez pas longtemps sur les séries, cela n’aidait pas. La plupart d’entre nous avaient une sorte d’image déformée de vous. Nous ne pouvions pas comprendre. Seules les personnes qui lisaient directement ces séries là, en VO, ici, au début des années 1980, pouvaient comprendre. Pour le numéro des New Mutants, je crois comprendre pourquoi vous aviez changé votre approche. Cela ressemblait à un style de dérivé de cartoon mais c’était avec une intention, je suppose ? D’une manière paradoxale, j’ai l’impression que vous essayiez de dessiner des adolescents plus réalistes que la façon dont ils étaient représentés dans cette série à l’époque ?
- Kevin Nowlan : Oh, j’adore la façon dont Mike a dessiné ça. Vous savez, Mike était contrarié, il était en colère, parce qu'il voulait que je l'encre dessus comme j'ai encré tant d'autres personnes, en faisant beaucoup de changements. Le problème, c’est que j’aimais la façon dont il dessinait. Et je lui ai donc dis : « Non, tes crayonnés sont parfaits. Qu’est-ce que je vais pouvoir changer ? Si je changeais quelque chose, je l'affaiblirais. » Et il a répondu : « Oh, d’accord. Je suppose que je dois accepter çà. » Il voulait donc qu’il s’agisse davantage d’une collaboration de styles entre nous. Mais sachez que nous avons fait quelque chose plus tard de ce type. A cette occasion, il m’a annoncé : «Bon, maintenant cette fois, je veux que tu apportes ta patte. » Vous savez, c’était... c’était une histoire qu’il a dessinée il y a bien longtemps, qui a été perdue et ensuite redécouverte. Il allait l’encrer lui-même, et il m’a appelé. Il m’a demandé : « Est-ce que ça te dérange si je l’encre ? » Je lui ai répondu que je n’avais jamais été censé être l’encreur, que personne ne m’avait même demandé de le faire. Mais les crédits lettrés, posés sur les planches, indiquaient mon nom en tant qu’encreur ! Mais personne ne m’avait pourtant demandé de la faire. Donc, quand cette histoire a été redécouverte, Mike était parti pour l’encrer. Et puis, encore une fois, il m’a rappelé une semaine plus tard pour me dire : « Je ne reconnais même pas le gars qui a tellement dessiné toutes ces pages à la chaîne…». Il ne pouvait même plus arriver à encrer lui-même son vieux moi. Autrement dit, il avait dessiné cette histoire quinze ans plus tôt, mais il ne pouvait pas trouver la manière adéquate de le faire. C’est comme cela que je me suis retrouvé à encrer ce numéro. C’était une histoire qui devait paraître dans Secret Origins, je pense, une histoire de Batman avec Clayface (3).
- Kevin Nowlan : je pense que vous l’aimerez parce que c’est vraiment très drôle. J’espère que le dialogue marrant passe bien à la traduction en français parce que c’est très, très drôle. Oui. C'est d’ailleurs pour cela que cette histoire a été annulée la première fois, qu'elle n'a pas été publiée. Parce que l’editor a dit : non, non, nous ne pouvons pas faire une histoire Batman décalée comme celle-ci ! Puis il a annulé le projet. À un moment donné, des années plus tard, un nouvel editor de DC a redécouvert l’histoire et il a dit : « Franchement, on s’en fiche, ce n’est pas grave. Nous pouvons la publier ! »
- Par contre, je voulais vous demander si vous vous souvenez de la
collaboration avec Steve Ditko sur l’histoire du Spectre dans le Legends of the
DC Universe 80-Page Giant #1 ? Je pense que vous avez fait un excellent
travail en raison des circonstances, car je sais qu’à l’époque, Ditko ne
donnait que l’essentiel aux encreurs qui travaillaient sur lui.
- Kevin Nowlan : Quel que soit le passé, ce seront les années 1960... Eh bien, dans ces conditions, j'ai fait de mon mieux, mais c'était très décevant parce que j'aurais aimé faire quelque chose de plus dans son style... Vous connaissez l'artiste Craig Russell ?
- Kevin Nowlan : Ah, il est fantastique. L’editor lui a demandé de résoudre plusieurs problèmes pour des épisodes de ROM de Steve Ditko. Et j’ai vu ce qu’il a fait, par exemple, sur le dernier numéro, où l’editor a dit : « Oh là là, Craig, Steve Ditko a dessiné le mauvais visage ici. Tu peux faire quelque chose pour corriger çà ? » Craig a fait plus que çà. Il n'a pas seulement dessiné le bon personnage dans la vignette, en gros plan. Il l’a fait dans le style de Steve Ditko. Oui. C’était incroyable. Je lui ai posé plus tard des questions à ce sujet. Il m’a dit qu’il avait trouvé un ancien comic-book de Ditko qui comportait un visage similaire, et du coup, il a copié ce visage. Je pensais que c’était d’une grande conscience professionnelle.
- Kevin Nowlan : Oh, oui, Bill Reinhold, bien sûr !
- Il a dû faire face à ces crayonnés simples, sur la série Phantom 2040, une incarnation du Phantom dans l’avenir, où il devait encrer les pages de Ditko. Le genre de crayonnés que vous aviez en main, peut-être juste un peu plus fournis. Il a dû « compléter » les pages en même temps que son encrage et durant toute la mini-série, il s’est posé la question de savoir ce que Ditko aurait fait s’il avait encré les pages lui-même. Et il a vraiment travaillé le sujet, travaillé dur, essayer de faire de son mieux pour copier les anciens rendus de Ditko. Je trouve le résultat plutôt bon.
- Kevin Nowlan : Je peux très bien l’imaginer. Vous savez, c’est
tellement difficile de dessiner dans le style de quelqu’un d’autre…
- Kevin Nowlan : Eh bien, l’opportunité ne s’est pas présentée ce moment-là. Je travaillais sur d’autres dessinateurs... comme le souhaitaient les editors. Mais à propos de Ditko, je vais vous dire ce que l’editor m’a dit lorsque j’ai encré cette histoire, l’histoire du Spectre. Je me plaignais à un moment et je lui ai déclaré : « Je ne sais pas quoi faire ici. Il n’y a pas assez de matière. » Et il m’a répondu : « Je comprends. Tout le monde veut encrer Ditko une fois. Personne ne veut encrer Ditko deux fois ! » (rires)
- Ses histoires pour « Creepy » et « Eerie » ? Les lavis ? Oh, oui !
- Kevin Nowlan : Elles sont géniales. Et vous pouvez deviner qu’il
a adoré les faire. En grande taille en plus. C’est presque ce que Bernie
Wrightson a fait de son côté. Vous savez, Bernie a travaillé auparavant sur SwampThing,
puis il est allé là-bas et a fait ces histoires en N&B pour Warren. Pour
moi, SwampThing, c’était... eh bien, c’est parfait. Et puis il est allé au-delà
de la perfection avec ses propres histoires en N&B.
A suivre...
Notes de référence :
(1) 1) Doctor Strange #57, puis les participations de
Kevin Nowlan aux Moon Knight #28, #29, #31, #32, #33 et #35 n'ont jamais été
publiés à l'époque dans les petits formats d'Aredit / Artima qui avait pourtant
les droits de ces séries, "délaissées" par Lug. En fait, les revues
d'Aredit / Artima s'arrêtèrent avant que n'arrivent les épisodes de Nowlan,
respectivement en 1983 et 1985. Heureusement, les collections
"L'Intégrale" de Panini ont réparé depuis l'année dernière la
situation en publiant une grosse partie de ces numéros. On peut espérer que,
l'année prochaine, tout sera couvert.
(2) 2) Jackson Guice signa quelques temps les épisodes
des New Mutants avant le fill-in de Nowlan (#40, #41, #42, #44, #45, #46, #47,
#48, #50).
(3) 3) Cette histoire ("If a man beclay"), datant
probablement de la fin des années 80, fut finalement publiée par DC dans le
Batman Villains Secret Files and Origins de 2005 (techniquement, c'est un #2
car un #1 fut publié en 1998). J'ai fini par lire cette histoire depuis cette
interview et... je ne peux que vous la recommander ! C'est effectivement
souvent hilarant. Excellent scénario et dialogues de Steve Purcell, le créateur
de « Sam et Max ». Ca se sent. On se croirait dans un épisode de la
série TV Batman des années 60, mais en nettement mieux ! Mais, tiens... j'ai
comme l'impression que ceci... n'a jamais été publié en France ?!?! Si cela
peut donner des idées à certains...









3 commentaires:
Kevin Nolan, le mec qui a tué ma carrière d'encreur dans l’œuf. Je te raconterai ça un de ces quatre. (Il avait été très gentil avec moi, hein, c' est un super souvenir).
Assez chouette interview, j'espère que dans la suite il y sera question de sa collab avec le grand et beau Jose Luis.
Hahaha c'est une itw sur le vif, pas une rétro carrière :)
Mauvaise nouvelle : Angoulême est annulé en Janvier !
Je ne comprends pas les réticences des dessinateurs à encrer Steve Ditko ! Gene Colan est trop difficile à encrer car trop de détails et de teintes différentes et Ditko n'en met pas assez ! Faudrait savoir les gars !
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