...Franck Biancarelli
Il y a déjà près de 3 ans, il venait nous présenter, ici, sa vision d'un album dessiné par Mr Schuiten
Aujourd'hui, pile pour mon anniversaire, il vient (presque) m'éviter de "travailler", en nous proposant une interprétation, la sienne donc, d'un épisode de la maxi série mythique Watchmen
Celui ci
Ne décelerait on pas une certaine symétrie dans la compo de cette couv ? Mais si, et le titre en est...Fearful Symmetry!
J'ajoute la page 1, et vous aurez logiquement, en toute fin, la dernière
Maintenant je ne parle plus, place aux mots d'un dessinateur, Monsieur Franck Biancarelli, merci à lui
Fin des années 80, Terry Gilliam devait tourner le premier
long métrage tiré des Watchmen.
La production, sachant Alan Moore grand fan du réalisateur de Brazil, demanda à
Gilliam de le convaincre de cautionner le film, en mettant son nom au
générique.
La rencontre n’eut pas l’effet escompté.
Moore aurait persuadé Gilliam que ses comics ne se prêtaient pas à une
adaptation, du coup le réalisateur aurait choisi de ne pas réaliser le film.
Je ne sais pas si cette histoire est une légende ou pas,
mais elle me plait vraiment.
Personnellement, j’accepte bien volontiers l’idée que
n’importe quel créateur puisse décider de relier la Bande dessinée, qui au
cinéma, qui à la littérature, qui à la peinture, ou qui à un simple exercice de
narration. La Bande Dessinée n’est pas imperméable au monde de la création,
elle se nourrit des autres arts.
Mais, en fin de compte, les bandes dessinées
qui me font vibrer le plus sont celles qui n’appartiennent qu’à la Bande
Dessinée, sans faire de réelles concessions aux autres médiums.
De ce point de vue Watchmen est exceptionnel.
Alan Moore y développe une vision antiromantique originale et démythifiée des
super-héros.
En 1986 c’était déjà suffisant pour créer un électrochoc auprès des lecteurs.
Mais à l’époque, ce qui m’a comblé d’admiration, plus encore que l’innovation
scénaristique, était la subtilité de la mise en pages et de la construction du
scénario.
Sa façon de jouer avec le médium est hors norme à plus d’un égard et le
chapitre Fatale Symétrie est à ce titre édifiant.
Cette histoire est aussi un polar, avec ses éléments d’enquête et son traitre
digne d’une tragédie antique.
Tout au long de l’histoire Moore ne se contente pas de nous attirer sur des
fausses pistes, ce serait trop simple. Il sème aussi constamment des indices
pour le lecteur attentif qui aura compris que ce titre « Fatale
Symétrie » est lourd de sens.
L’angle d’attaque de cet épisode est parfaitement inédit et intimement lié à
une écriture exclusive à la bande dessinée.
Moore y présente Ozymandias, « celui qui apportera la mort ».
Ce personnage doit donner l’impression qu’il incarne le héros parfait et il est
spécialement convaincant dans ce rôle.
Mais à y regarder de plus près, on s’ aperçoit que Moore donne des indices qui
laissent entendre à qui s’en donne la peine, qu’Ozymandias est en fait le
méchant de l’ affaire.
Moore découpe son épisode de façon parfaitement symétrique en termes d’images
et construit donc la seconde moitié de son épisode en miroir à la première.
Cette symétrie ne se voit jamais sauf dans les deux pages centrales, pages où
Ozymandias commet précisément un crime alors que tout laisse penser qu’il se
défend contre un criminel.
Ainsi, au moment ou cette symétrie fatale se révèle, Moore nous y révèle aussi
la véritable nature d’Ozymandias.
Tout Watchmen est résumé dans ces deux pages.
On peut parfaitement adapter le scénario de façon linéaire.
Il nous laisserait croire qu’Ozymandias est un héros qui vient d’échapper à un
attentat et le spectateur comprendrait à la fin qu’il s’ agissait d’un leurre.
Mais ce serait forcément sans tout ce langage souterrain, impossible à énoncer
à l’oral, qui nous dit avec brio qu’il faut se défier des apparences.
Moore pousse encore plus loin la sophistication de la symétrie. Le destin
d’Ozymandias, criminel désigné comme héros, nous est raconté parallèlement à
celui de Rorschach dont le nom fait écho aux tests psychologiques qui
consistent à interpréter des taches qui sont, elles aussi, symétriques…
Rorschach vrai héros qui sera traité en criminel.
Moore conclut enfin cet épisode par une citation d’un poème
de William Blake : « Tigre, tigre flamboyant dans les forêts de la
nuit, quelle main, quel œil immortel traça ta fatale symétrie ? ».
Moore nous murmure ainsi un dernier indice quand à ce que cet épisode à de si
charnière.
Là encore, au cinema, on imagine assez mal une voix off citer ce poème sans que
cela semble parachuté de nulle part.