David Mazzuccheli fait partie, de loin, des artistes m'ayant le plus fasciné, à la fois par son talent et par son évolution. Voir ce sketch sur le net (et cette photo ambiance DD/ 80') m'a donné envie de (re?)faire un rapide tout d'horizon de son évolution graphique
Dès ses débuts, il est dans le découpage clair, l'action lisible. Bon ok c'est méga classique, mais il est jeune et avoir Coletta à l'encrage ne pousse pas vers des prouesses non plus
Un fill in sur Indiana Jones de la même époque, très simple et aseptisé par un encrage collectif, mais dans l'image deux on constate encore une fois le sens du mouvement
Sens du mouvement qui s’améliore sur ses premiers DD, sous l'encrage un peu lourd de Bulanadi
Quand il va s'encrer lui même le bond en avant sera phénoménal (ici la pleine page d'intro d'un épisode exceptionnel)
Gene Colan est tapis dans l'ombre du crayon du Mazz, avec un style personnel tout de même
L'explosion arrive avec les scénar de Miller, sur LA saga, Born Again
Un niveau tel que beaucoup pensaient que Miller découpait son scénario visuellement. Que Nenni. Si Miller livrait un scénario poussé, assez descriptif, Mazzucchelli était seul au dessin, et apportait même des idées, comme ces ouvertures systématiques de chapitres sur la déchéance physique de Matt Murdock
Tout reste très travaillé, même si académique, décors comme personnages, avec un admirable sens du langage corporel
une efficacité de découpage et de choix d'angles de vues, qui me laissa (et me laisse encore) pantois d’admiration
Toujours avec Miller, il va sur Batman, pour un passage mémorable. Son dessin a évolué. Les décors sont encore plus poussés mais, par opposition, les personnages se simplifient. Le contraste est saisissant mais particulièrement réussi
Colan s’éloigne en terme d'influence. Alex Toth est maintenant TRES présent.
Tout comme Toth Mazzucchelli est passé maitre dans l'art de choisir le moment à "figer" dans une séquence donnée. Et la couleur suit le mouvement
Silhouette noire/plan rapproché intérieur/vue d'ensemble détaillée/zoom/silhouette noire. Quel talent de mise en scène!
Dès le découpage au crayon la rigueur, la lisibilité, la narration au cordeau sont là
Sur la même période il livre son dernier travail "mainstream" pour son seul boulot que je n'ai pas (mais que j'ai lu) Une histoire courte, magnifique, de Ann Nocenti (Marvel Fanfare) Il a changé son trait, plus encore que sur Year One. Simplification qui n'est que le début de son travail d'évolution graphique
Fini Marvel et DC, Mazzucchelli passe en mode "arty" et qu'on ne lui parle plus de super héros. Dommage en un sens, car il passe d'un groupe marginalisé (les dessinateurs de super mecs) à un autre groupe un peu élitiste (l'indé) mais le plaisir de le regarder grandir encore est là
L'adaptation de Cité de Verre de Paul Auster est relativement proche de son boulot sur Marvel Fanfare, en plus stylisé
Puis le Mazz continue sur sa lancée, avec beaucoup d'auto productions. Son trait est si loin de ses DD que l'artiste n'est quasi plus le même, sauf en terme d'exigence artistique
De très jolies choses, aux ambiances choisies
Faire des couv pour le New York se situe entre la consécration et le reniement des ses origines en comics, mais observer son évolution est toujours captivant
Asterios Polyp est très énervant car présenté comme son chef d’œuvre, LE Roman Graphique (à prononcer la bouche en cul de poule, pour bien marquer qu'un critique ne va s’abaisser à dire "Bande Dessinée")
C'est magistral certes, somme de beaucoup de réflexions c'est certain, aboutissement de la lente digestion de la forme et du fond, mais Born Again (et Year One dans une moindre mesure) n'en est pas moins un chef d’œuvre également, avec d'autant plus de poids qu'il transcende un genre honni (le super slip) pour dépasser les limites du genre
S'il n'avait pas passé du temps à dire qu'il ne voulait plus entendre parler de Super héros, avec un petit mépris de mauvais genre, je dirais qu'il touche à la perfection, ayant sublimé différents supports de BD, mais du coup je me dis juste qu'il est dommage de presque renier une partie de son passé, si brillant d'ailleurs
Je trouve que cette case d'Asterios pourrait assez bien résumer l'auteur, tel que je le perçois
Je ne descends pas ce livre pour autant bien sur. Il est excellent même si un peu froid, du fait de son sujet et de sa quasi perfection formelle. Mazzucchelli, pris en entier, dans tout ce qu'il a pu produire et, j'espère, produira, est un très grand, à découvrir et à redécouvrir sans cesse