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lundi 18 avril 2016

Poser le décor

 Les décors dans la BD?! Aborder un tel sujet parait prétentieux (et ça l'est) mais je l'évoque par un tout petit bout de lorgnette, le prisme est celui de mes goûts perso, et d'auteurs que j'admire
En préparant une éventuelle future entrée sur le Dieu du comics, Will Eisner, j'ai eu confirmation de l'importance qu'avaient les décors pour lui. Mais ceci évolua avec le temps. Sur le Spirit, l'enthousiasme de la jeunesse et la volonté de montrer ce qu'il savait faire le poussaient à jouer avec les décors, et les angles de vue. Beaucoup de frime (mais les moyens de frimer étaient là)
 Plus tard, il lui est arrivé de montrer ce qu'il savait faire, mais le décor est devenu un personnage essentiel, intégré à son histoire
 
 La "camera" ne joue plus comme au temps du Spirit. Eisner est alors plus près du théâtre que du cinéma. Le décor reste très important, mais important pour poser l'histoire, pas pour étaler un savoir faire technique
 Je reste dans les géants, les anciens. Joe Kubert, comme Eisner sur la 2nde partie de sa carrière (3ème si on compte sa partie businessman) fait appel aux souvenirs du lecteur, à sa mémoire visuelle, pour interpréter un décor qu'il ne fait qu'esquisser. En cela ces auteurs parlent forcément plus à des adultes qu'à des enfants/ado car le dessin, et le décor, suggèrent, et le lecteur complète à l'aide de son vécu
Quelques traits suffisent à nous situer dans l'espace
 Même registre avec un autre géant, le roi du less is more : Alex Toth
Le toit, la fête foraine, ne sont que très rapidement présentés, et pourtant le doute n'est pas permis quant au lieu
 Idem dans le ciel; le combat ne perd jamais son lecteur
 Revenons à du plus contemporain (ce qui ne veut pas dire à du mieux). Des auteurs ont fait leur carrière sur leur sens du détail, sur la profusion de traits pour les perso ET le décor. Je ne parle de tacherons noyant leurs mauvais dessins de petits traits inutiles mais de ceux qui choisissent d'avoir ce style, et savent dessiner
Geof Darrow est l'exemple type. Il noie ses perso dans des décors blindés de détails. C'est un jeu. Tout le travail du lecteur est mâché, plus rien à compléter mais l’œil s'amuse de la profusion
 Art Adams joue de la même manière, mais avec une grande différence : là où Darrow reste lisible mais submerge le lecteur d'informations, Adams privilégie la clarté (différents plans, masses noires pour différencier encore davantage...) Il a ma préférence
 D'autres font des mélanges, et ça me plait assez : des personnages simplifiés, cartoon, sur un décor ultra travaillé, défini à l’extrême. Le contraste, bien fait, est agréable.
Mike Zeck
 Sans aller aussi loin, mon favori, Romita jr, a toujours aimé dessiner les décors, et quand il les posent, c'est avec talent et lisibilité. Ici, Matt a autant d'importance, visuellement, que le lieu où il se trouve
 J'aime assez quand décor et personnages sont traités de la même manière, comme ici avec Darwyn Cooke. La stylisation touche tout, avec la même grâce
 Je quitte un instant les comics us pour le monde du Franco-Belge, réputé pour travailler davantage les décors que les ricains (ce qui est faux depuis belle lurette)
La profusion de Moebius m’éloignait parfois, tandis que l'approche de Jean Giraud me plaisait davantage
Il savait quand en mettre plein la vue avec un décor, et quand l'effacer
 Le grandiose des décors d'André Chéret sur  Rahan furent l'une des choses qui me fascinèrent enfant. Et pour cause, le lecteur n'a pas à faire d'effort de mémoire important, le réalisme lui présente la chose telle qu'elle est ou telle qu'il la conçoit
 En cela, j'ai retrouvé quelques unes de ces sensations d'enfant à lectures de planches de Mathieu Lauffray
 A l'opposé, il m'a fallu grandir (vieillir?) pour être captivé par le minimalisme à la Caniff/Sickles d'Hugo Pratt
Un trait pour la mer, 2 pour une mouette...Si l’équilibre est fragile entre réduire à la plus simple expression et bâcler, quand le pinceau est tenu par Pratt je m'incline
 Je termine (je vous disais bien que je ne faisais qu'effleurer le sujet) avec un grand de la même école, David Mazzuchelli, qui eut, sur sa carrière, différentes approches du décor
Après avoir faits ses classes et brillé sur Born Again, il montra avec Batman Year one comment faire des personnages réalistes mais simplifiés, et des décors pouvant aller très loin dans ce réalisme
 Quittant le super héros il se trouva plus proche de la philosophie d'Eisner (post Spirit) : le décor est un personnage de l'histoire qui n'attire pas l'attention, (sauf nécessité narrative) Ici il adapte Paul Auster
Seul aux commandes de ses histoires perso, il va encore plus loin, plus proche de Pratt
Il suggère de peu de traits (mais ce sont les bons traits)
 Ce n'est pas une évolution linéaire (avec de moins en moins de traits) Sur son chef d’œuvre (au sens premier du terme) Asterios Polyp il peut repartir sur des décors poussés, mais la cohérence est absolue, le fond rencontre alors la forme : le personnage est architecte, le décor est le reflet de son travail (et ce décor change, dans le traitement, selon son évolution d'homme)
Le décor n'est qu'une partie, certes importante, d'une histoire dessinée. Il y a pourtant tant de choses à dire sur la façon de l’aborder
Vive la BD

7 commentaires:

Philippe Cordier a dit…

ah je ne suis pas d'accord, il y a de NOMBREUX absents :)
Oui bien sur Mc Cay est un géant, y compris des décors, il ne m'est pas venu à l'esprit car, honte sur moi, je n'ai jamais accroché à l'onirisme de son travail et donc il n'est pas dans mon panthéon
De la même manière, des très grands de l'archi (entre autres) sont très (très) loin de mes goûts malgré un taff de malade, comme Schuiten ou Druillet

Unknown a dit…

Te connaissant, ça m'étonne que tu n'aies pas parlé de Thierry Martin, de ses grands arbres - entre autres - si reconnaissables qui sont une partie indissociable de son univers (ce qui est rare de nos jours, nous sommes d'accords).

Sinon, quand on parle association fondamentale dans le style des décors en BD, j'ai envie de relire Schuiten !

Philippe Cordier a dit…

sans vraiment pouvoir dire pourquoi j'ai "choisi" de ne pas mettre d'exemple franco belge de copains, sinon c'est sur que Thierry est bien haut dans la liste

Laurent Lefeuvre a dit…

Tu aurais de quoi faire un livre sur un sujet aussi VASTE !

Pour ajouter à la petite "wish-list" déjà très inspirante que tu as dressée aujourd'hui, j'y rajouterai moi aussi 2 noms, juste comme ça, dont la pensée du décor m'inspire :

Pour le traitement tour à tour descriptif (des bâtiments, des paysages), ou tout en "matières sensitives" quasi abstraites(pourriture, brouillard eau, chair, fourrure, etc.):le toujours immense Richard CORBEN !

Et sinon, l'espace pris par la figure de Prince Valiant, forme déterminée et en progression dans l'immensité de décors somptueux. Voilà la marque de fabrique de FOSTER. Chez lui, le Monde semble retrouver sa dimension, et les montagnes qu'il dessine au loin retrouvent une distance que n'ont pas les planètes dessinées actuellement dans les comics de super-héros.

Après Mc Kay, avant Moebius/Giraud, les décors chez Foster semblent réellement en prise avec l'immensité. Sans doute des restes de cette nature sauvage qu'il a expérimenté, lors de ses expéditions dans le Grand Nord Sauvage en Canoë.





Philippe Cordier a dit…

Plusieurs livres même

Foster est quasi cité en filigrane, en tant qu'influence majeure de Kubert -)
Quant à Corben...c'est juste que...aie...je n'aime pas

franck a dit…

Salut Phil !
A propos de Mazzucchelli, saurais-tu quelle est son actu ? Je ne retrouve pas trace de lui depuis Asterios Polyp...

Philippe Cordier a dit…

aucune idée Franck
A ma connaissance il donne toujours des cours à NYC, il doit en vivre, ainsi que des couv du New Yorker peut être
Mais côté comics...ras